Europe | Par La rédaction
Christiane Lambert, présidente du Comité des organisations professionnelles de l’Union européenne (COPA) revient sur la manière dont le dialogue stratégique a été conduit pendant l’été.
Comment se sont déroulées les réunions préparatoires ?
Christiane Lambert : «C’est le 13 septembre 2023, lors de son discours sur l’état de l’Union, et quelques semaines après le rejet historique d’un texte sur l’utilisation des produits phytosanitaire, que la présidente de la Commission européenne, Ursula von der Leyen, avait proposé ce «dialogue stratégique sur l’avenir de l’ agriculture». L’idée était alors de sortir de la polarisation croissante des débats, entre d’un côté l’agriculture et de l’autre l’environnement, et rechercher des consensus.
N’est-ce pas faire quelque part « acte de contrition » ?
C.L. : Clairement oui ! En commençant par remettre l’agriculture au premier plan des préoccupations à Bruxelles. Quoi de plus logique pour le premier poste budgétaire de l’Union européenne ? Avec ce rapport, la présidente de la Commission a envoyé plusieurs signaux aux agriculteurs. Le premier était de dire qu’elle rompait avec la méthode très autoritaire de son ancien vice-président, Frans Timmermans, qui aurait dû commencer par écouter «la base» et en premier lieu, les représentants agricoles. Le dialogue stratégique nous a donné la possibilité d’échanger sur les controverses et nos désaccords. Les débats ont été parfois très animés. Surtout ce dialogue a permis à tous ses membres, y compris ceux qui étaient frileux, d’affirmer que l’agriculture et agroalimentaire sont des secteurs stratégiques «entité critique» domaine crucial à inscrire dans la législation de chaque état membre comme la FNSEA le porte en France, Et qu’il ne saurait y avoir de souveraineté alimentaire, ni de neutralité carbone, sans agriculture. Le rapport formule des recommandations positives dans de nombreux domaines car l’agriculture a de nombreux champs d’action.
Quels ont été les points de friction entre les 29 parties prenantes ?
C.L. : Ils ont été nombreux, dès la constitution de l’instance de dialogue. A ce titre, je regrette que certains secteurs d’activité ont été absents ou écartés, à l’image de l’alimentation animale qui est un maillon essentiel de la production agricole et qui constitue un lien indispensable entre végétal et animal. Les contestations, venues particulièrement de certaines associations ont été très fortes sur le budget de la PAC, en particulier sur les paiements directs. Certaines organisations non gouvernementales les considéraient (et le considèrent toujours) comme trop élevés, inefficaces et mal distribués. Pour nous, représentants agricoles, c’était une ligne rouge à ne pas franchir. Nous avons tenu bon et sommes parvenus à obtenir le consensus pour préserver «un budget dédié et bien dimensionné» recommandation entendue par la présidente de la commission européenne. Nous avons obtenu la recommandation du «maintien des aides mais mieux ciblées» et la création d’un Fonds de transition et d’un Fonds de restauration de la nature, ces deux derniers financés hors budget PAC. Un «European Agrifood Board» (Bureau européen agricole et agroalimentaire) a aussi été proposé pour poursuivre le dialogue avec la Commission et une «task force PAC» pour préciser les recommandations et les critères de ciblage spécifiques. Ce qui fera sans doute qu’à l’avenir ces aides puissent être attribuées selon des critères socio-économiques qui tiennent compte des besoins des exploitations. D’autres parties prenantes ONG ont réclamé la réduction de l’élevage de 15 % voire 20 % pour assurer une « meilleure transition agroécologique». Avec le Copa, le Cogeca et d’autres organisations, nous nous sommes battus pour contrecarrer ces velléités, il n’y a donc aucune recommandation de réduction de cheptel dans le rapport final. C’est un point très positif.
Et sur les systèmes alimentaires durables ?
C.L. : Il est vrai que nous avons été vivement attaqués sur les systèmes d’élevages. Certains voulaient réduire l’élevage, au nom de la santé, de l’environnement, du bien-être animal… C’est un fait : les jeunes générations consomment moins de viande. Ce n’est pas une raison pour vouloir instaurer «une police des assiettes» et nous imposer une façon unique de consommer. L’idée est de pouvoir «coller à la demande» tout en conservant notre liberté de choix. Dire que ce sont ces mêmes personnes qui défendent la viande cellulaire (ou in vitro) à laquelle nous nous opposons fermement. Ici aussi c’est une ligne rouge qui n’a pas été franchie, d’autant que la FAO prévoit une augmentation de la consommation de viande de 60 % d’ici 2050 à l’échelle globale. Faut-il que l’Europe et ses éleveurs refusent de répondre à cette demande ? C’est impensable. N’oublions pas que l’Amérique du Sud a augmenté sa production de viande (bœuf, poulet) de 25 % sur les dix dernières années. L’Europe ne doit pas être naïve sur le sujet Mercosur qui revient sur la table !
Quels sont les principaux points positifs qu’il faut en retirer ?
C.L. : Ils sont nombreux. Parmi les plus importants, je pense à la reconnaissance de «la production alimentaire comme fonction centrale dans les sociétés modernes». Il nous a fallu ferrailler pour éviter de faire disparaître le terme «fonction centrale». Le rapport souligne la nécessité de renforcer la position des agriculteurs dans la chaîne de valeur alimentaire. Cela concerne directement leur revenu et renvoie à la bataille des coûts de production et de la transparence des marges et de la lutte contre les pratiques déloyales, comme nous l’avons fait en France. Sur ce sujet, nous avons passé une dizaine de réunions pour faire inscrire le fait que les agriculteurs ne doivent pas vendre systématiquement en-dessous des coûts de production. Le texte était enfin écrit, puis contesté le dernier jour ! Nous avons tous tenu bon et avons emporté la mise.
Autre point positif : le fait que l’agriculture préserve ses capacités d’exportation . Certains se sont clairement opposés à la vocation exportatrice de l’agriculture européenne, mais le rapport conclut que l’Europe continuera à exporter ses céréales, ses viandes, son vin, ses fruits et légumes… Ce rapport entend « considérer davantage l’agriculture dans les relations commerciales internationales». Autrement dit que nous ne soyons plus une variable d’ajustement. Surtout, nous avons obtenu le principe que les mêmes règles de réciprocité s’appliquent dans les négociations internationales. C’est primordial pour notre souveraineté, le développement de l’agriculture et le renouvellement des générations. Par-dessus tout, le rapport tourne la page du Green Deal qui ne se focalisait que sur l’environnement. Désormais, la durabilité doit s’appuyer sur les 3 piliers : économique, social et environnemental.
Autres recommandations importantes, la reconnaissance de l’innovation (biocontrôle, NGT, stockage d’eau…) pour les transitions et amélioration de la réserve de crise et des systèmes assurantiels pour plus de résilience face aux impacts du climat et des conflits. Une chose est certaine : Ce rapport présenté par le professeur Strohschneider ne constitue pas un blanc-seing donné à la Commission européenne. Toutes les propositions faites ne tiendront «si et seulement si» les budgets sont au rendez-vous et s’accordent aux ambitions.
Pensez-vous que ce dialogue stratégique va véritablement faire avancer la cause agricole, car dans le rapport sur l’avenir de la compétitivité de l’Union européenne présenté par Mario Draghi, il n’y a rien sur l’agriculture ?
C.L. : Mario Draghi est même allé plus loin en dénigrant brièvement mais ouvertement le budget de la PAC, en disant qu’il était mal utilisé, qu’il n’y avait de nécessité d’investir dans le secteur agricole et agroalimentaire ! Même si son rapport avait pour priorité la compétitivité de l’industrie, c’est une prise position catastrophique qui, à seulement quelques jours d’écarts, va à l’opposé des conclusions du rapport du Dialogue stratégique et du discours de la Présidente de la Commission européenne. Lors de la remise de ce rapport le 4 septembre, elle a affirmé : «Il n’y a guère de secteurs plus importants pour notre continent que l’agriculture. Elle est, comme nous le savons tous, essentielle pour notre santé. Elle est stratégique pour notre économie et notre autosuffisance. Mais nous savons que nos agriculteurs sont confrontés à de nombreux défis croissants, allant de la très rude concurrence mondiale aux effets dévastateurs du changement climatique». Heureusement que le rapport du dialogue stratégique a été rendu public une semaine avant le rapport Draghi !».
La rédaction