National | Par Didier Bouville

Gilets jaunes et ruralité [point de vue]

Directeur du département Opinion et stratégie d’entreprise de l’Ifop, Jérôme Fourquet (notre photo) revient sur les spécificités du mouvement des gilets jaunes, qui touche davantage la ruralité, et sur la nécessité d’accompagner davantage la transition écologique dans certains secteurs d’activité et auprès de certaines catégories de la population.

– Pourquoi l’augmentation des taxes sur le carburant est-elle une mesure qui impacte davantage les zones rurales ?

Jérôme Fourquet : «Ce mouvement des gilets jaunes a pris naissance suite à l’annonce de l’augmentation des taxes sur le carburant, parce que cette question est extrêmement sensible. C’est un élément fédérateur dans la société française, et si l’on voulait utiliser une métaphore historique, on pourrait dire que notre société est aussi sensible aujourd’hui au prix du carburant qu’elle ne l’était au prix du blé sous l’Ancien Régime. On a vu dans nos enquêtes que ce sont les zones rurales et périurbaines qui ont été les premières à rentrer dans le mouvement, et qui le soutiennent le plus, parce qu’elles sont les plus dépendantes et les plus tributaires de la voiture pour aller travailler.

– Quelles sont les spécificités de ce mouvement ?

J. F. : C’est d’abord un mouvement inédit, puisqu’il s’est créé en dehors de toutes les structures politiques et syndicales traditionnelles, sans relais médiatique notable, c’est un pur produit des réseaux sociaux. Mais c’est aussi le résultat d’une politique qui est menée, d’une situation préexistante : ce mouvement vient souligner les fractures territoriales, géographiques mais aussi sociales, avec de très nombreux concitoyens qui n’arrivent plus à boucler leurs fins de mois, qui ont un sentiment de déclassement, voire d’abandon.

Une autre spécificité est que le mouvement est de nature très évolutive. Ce à quoi l’on assiste aujourd’hui est déjà différent de ce que l’on observait lors des premières semaines de manifestation : on est sur un mouvement qui se politise. On le voit par le fait que la proportion de Français qui soutiennent le mouvement est à quelques points près identique à la proportion de Français qui sont mécontents d’Emmanuel Macron. La mobilisation a commencé sur quelque chose de catégoriel, puis s’est politisée. On peut le suivre au rythme de l’évolution des revendications : d’abord, l’abrogation des taxes sur le carburant, puis le pouvoir d’achat et la fiscalité, et maintenant, une critique de la politique du gouvernement.

– En quoi la transition écologique a-t-elle cristallisé les tensions ?

J. F. : Elle les a cristallisées, oui et non, car si c’est la hausse des prix des carburants pour raisons écologiques qui a mis le feu aux poudres, pour autant une bonne partie des gens qui soutiennent le mouvement se déclarent également sensibles à la cause environnementale. La question qui est posée, en fait, c’est celle de la soutenabilité de cette transition écologique et de la manière dont on fait en sorte que, si cette transition apparaît comme scientifiquement et environnementalement nécessaire, il faut qu’elle soit accompagnée socialement et économiquement, que ce soit pour certaines filières, on peut penser par exemple à l’agriculture qui va avoir des défis à relever, mais aussi pour certains publics, qui ne sont pas en capacité de dégager des budgets supplémentaires pour financer cette transformation par eux-mêmes».

Actuagri

Lire aussi dans la Volonté Paysanne datée du jeudi 6 décembre 2018.

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