National | Par Jérémy Duprat

Jeunesse et agriculture : je t’aime moi non plus

À l’occasion d’une conférence organisée par Agridemain, BVA a présenté son grand sondage sur l’agriculture. Un moyen de mieux appréhender le fossé qui se creuse entre les jeunes et l’agriculture. Au point que, parfois, la logique de protection du climat semble contradictoire avec les enjeux de l’agriculture.

Cibler les 18-24 ans

Sur l’estrade, quatre invités : Florence Gramond, directrice département agriculture du groupe BVA, Pauline Morin, membre du bureau Agridemain, Ferréol Delmas, directeur chez Écologie responsable, et Frédéric Dabi, qui rejoindra la discussion un peu plus tard, directeur général de l’Ifop. Ce dernier sort un livre, «La fracture». Et en effet, le dernier sondage de BVA, présenté en marge de la conférence organisée par Agridemain, vient confirmer le titre de l’ouvrage. Les 18-24 ans sont plus radicaux que leurs aînés sur de nombreux sujets vis-à-vis de l’agriculture. La grande leçon du sondage : «chez les jeunes, l’attente numéro une, et de loin, est l’adaptation au changement climatique suivie de près par le respect des sols», explique Florence Gramond. Alors que les plus de 35 ans sont plus intéressés par les circuits courts, la garantie des prix distributeurs et l’indépendance alimentaire.

Et même si les 18-24 ans sont les plus nombreux à considérer être bien informés sur l’agriculture et l’élevage, la jeunesse souhaite à 34% (soit 14 points de plus que la moyenne des Français) que les agriculteurs communiquent plus et mieux sur la réalité de leur métier aux consommateurs. «Cette enquête est a diffuser auprès des agriculteurs. Elle montre les sujets sur lesquels il faut communiquer : le climat, le respect des sols et l’agriculture dite biologique. Il y a des visites de fermes en primaire, mais il y a un vrai manque à partir du lycée chez les 18-24 ans. Notamment sur les réseaux sociaux ou Youtube. Il faut réussir à toucher ce public», considère Florence Gramond. «De la même manière que les lanceurs d’alerte ont touché les jeunes sur la question du climat, il faut que l’agriculture atteigne cette jeunesse. Parler du bio c’est très bien mais nous ne pourrons pas nourrir tout le monde en bio. Il faut changer le regard des jeunes sur le monde agricole», considère Pauline Morin.

Le bio importé…

Une jeunesse engagée, mais très paradoxale. «Les jeunes ont le sentiment de mieux connaître la façon dont est produit le végétal mais aussi le fonctionnement d’un élevage. Mais, comment se fait-il qu’ils soient les plus nombreux, sur des questions conceptuelles, à répondre je ne sais pas ? De quelles sources tirent-ils leur savoir ?», s’interroge Florence Gramond. Une question centrale, à l’ère des associations comme L214. Seulement 41% des Français déclarent savoir que la taille moyenne d’un troupeau de vaches laitières est de 45 animaux. Chez les 18-24 ans, ce taux descend à 33%.

Des contrastes paradoxaux que relève Ferréol Delmas du laboratoire d’idées Écologie responsable. «Ce qui me vient en premier, c’est que les jeunes ont une image positive de l’agriculteur et négative de l’agriculture. Il y a un vrai attrait pour le bio mais l’acceptation d’une importation massive sans souveraineté alimentaire. J’y vois une montée de l’individualisme dans la jeunesse, plus attirée par des produits pour soi mais qui ne pensent pas de façon globale», résume Ferréol Delmas. Florence Gramond abonde sur cette notion de contradiction des jeunes mais tempère l’image négative de l’agriculture : «Elle a une vision positive mais reste plus en retrait, la jeunesse est moins enthousiaste».

…Plutôt que le local

Emblème de la fracture qui se creuse, doucement mais sûrement, entre les jeunes et les plus de 35 ans, le paradigme entre bio et production locale. «Nous avons posé des questions volontairement opposées pour voir où se situe l’opinion entre deux extrêmes», décrypte Florence Gramond. 80% des plus de 35 ans sont pour une agriculture raisonnée qui assure la souveraineté alimentaire de la France, contre 20% de personnes qui penchent du côté du bio quitte à devoir importer. Chez les moins de 35 ans, l’équilibre est à 55% contre 45%. «Au travers de ce sondage, nous voyons que l’enjeu des circuits courts n’est pas celui des 18-35 ans. Ils sont plus tournés vers le bio», décrypte Florence Gramond.

Protéger le climat en faisant traverser des océans aux produits étrangers, un grand paradoxe chez les jeunes. De la même manière, le sujet de crispation qu’est la gestion de l’eau illustre également la différence générationnelle. «Faut-il permettre les retenues d’eau de pluie ou renoncer à certaines cultures du fait du réchauffement climatique et du manque d’eau ? À 41% les moins de 35 ans veulent renoncer à certaines cultures comme les fruits et légumes ou le maïs», dévoile la directrice département agriculture chez BVA.

Le directeur de l’Ifop, Frédéric Dabi, spécialiste des sondages, vient renforcer l’idée d’une «fracture» émergente. «3 à 5 points d’écarts, c’est déjà, en terme de sondage, une différence importante. Alors quand nous observons des fluctuations à 10 ou 15 points entre classes d’âge, il s’agit bien d’une fracture. Les jeunes sont dépolitisés mais pas désengagés. Aujourd’hui, ils ont été sensibilisés à la question climatique. Les canaux de communication ont changé, il faut aller chercher les jeunes là où ils sont. C’est une classe d’âge diffusioniste et leur degré de percolation sur la société est important», analyse Frédéric Dabi.

Jérémy Duprat

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