Jeudi 30 mars à Bruxelles, Dominique Fayel a été élu président du Groupe Viande bovine du COPA-COGECA. Il a été désigné par les représentants des fédérations professionnelles des 27 états membres, avec pour vice-présidents un éleveur polonais et un éleveur irlandais. Il explique en quoi consiste son poste et les chantiers qui l’attendent.
Quel est le rôle du COPA – COGECA ?
D. Fayel : «Le COPA-COGECA assure au niveau européen une représentation des agriculteurs et porte des positions communes sur l’ensemble des sujets en discussion au plan communautaire, notamment vers la Commission et le Parlement. Il est constitué de plusieurs branches et groupes de travail spécialisés dont celui que je préside désormais sur le secteur de l’élevage bovin viande.
Le COPA COGECA rassemble des représentants des organisations professionnelles des 27 Etats-membres, plus le Royaume-Uni. Certains pays peuvent avoir plusieurs représentants. Il s’agit d’une organisation reconnue, représentative des agricultures à l’échelle européenne et qui pèse face notamment aux ONG. Elle est l’interlocutrice de la Commission européenne.
Quel est le rôle du groupe bovins viande ?
D. Fayel : Notre objectif est de défendre des positions qui concernent notre production, de dégager des points d’accords. L’agriculture européenne étant très diversifiée, nous œuvrons sur la base du compromis. Outre le fait de présider nos réunions de groupe, l’intérêt de cette fonction est d’être en relation permanente avec des représentants de l’administration européenne. Je pense à la DG Agri mais aussi à la DG Environnement, Santé… qui sont aujourd’hui des instances transversales sur nos sujets agricoles et qui interviennent dans nos politiques.
Quel regard portez-vous sur le contexte européen ?
D. Fayel : La Direction Générale Agricole est affaiblie, elle est plus isolée parce que de plus en plus d’aspects de l’agriculture sont gérés avec d’autres directions générales. C’est une tendance très marquée depuis cette mandature avec l’arrivée de Frans Timmermans, vice-président exécutif de la Commission européenne et sa stratégie du Green Deal.
L’instance décisionnelle de l’Union européenne est une grosse machine, avec plusieurs strates : une commission qui fait des propositions, et pour qu’une loi soit adoptée, il faut un vote de la Commission, du Parlement et du Conseil. Nous l’avons vécu avec la PAC dont les premières réflexions ont démarré en 2016, la Commission a fait ses premières propositions en 2018 et l’accord politique a été obtenu au printemps 2022 ! Ceci étant dit ces délais allongés nous donnent du temps, au COPA COGECA pour défendre et mettre en avant nos positions !
Quels sont vos leviers d’actions ?
D. Fayel : Nous devons être à l’affût des chantiers engagés par la Commission européenne afin de pouvoir intervenir dans le processus de réflexion. Nous avons aussi un rôle d’influence à mener au niveau du Parlement européen par le biais des députés engagés sur l’agriculture même s’ils sont peu nombreux et dans les différentes commissions qui nous concernent.
Enfin nous devons mener aussi un travail de fonds, permanent, de contacts, pour porter une position européenne tout en ayant en tête nos intérêts nationaux respectifs !
Quel est le contexte européen en viande bovine ?
D. Fayel : Il y a beaucoup de mauvaises nouvelles ! Nous sommes en position défensive.
Il y a d’abord les accords internationaux, ceux en phase de ratification avec le MERCOSUR, le Chili, la Nouvelle-Zélande et ceux en phase de négociation avec l’Australie, l’Inde, l’Indonésie… Sur l’ensemble de ces accords, l’agriculture, la viande bovine en particulier, représente une monnaie d’échange pour la partie adverse. Et on sent une volonté européenne d’accélérer ces accords qui, disent-ils, favorisent les échanges, le développement économique, la démocratie et la paix. Des raisons, à mon sens, purement dogmatiques.
L’Europe à travers ces accords, veut aussi diversifier ses partenaires commerciaux pour ne pas être dépendante des autres puissances. L’OMC étant à la peine, elle pense que la solution viendra des accords bi-latéraux…
Que pensez-vous de la position européenne sur ces accords commerciaux ?
D. Fayel : L’Union européenne a la conviction que les accords commerciaux vont suffire à garantir la paix et la démocratie dans le monde. Je dirais même qu’elle a une foi aveugle. Or ça ne se vérifie pas partout et nous sommes le seul «bloc» à faire des accords. Par exemple, la Chine, les Etats-Unis ne signent pas d’accords. Ces accords vont nous ouvrir à de nouveaux marchés mais sans obtenir de réciprocité et sur la base de conditions déséquilibrées d’un point de vue sanitaire, de l’identification, de bien-être animal, de conditions de production… C’est un danger très sérieux pour nous, pour l’Europe alors que nous avons les prix et les coûts de production les plus élevés. Nous représentons un terrain de conquête idéal !
Quelles marges de manœuvre par rapport à ces accords ?
D. Fayel : Nous allons jouer le jeu jusqu’à la fin ! Alerter l’opinion sur les déséquilibres des conditions de production entre les éleveurs européens et les autres. Nous défendons l’intégration des clauses-miroirs dans ces accords mais, soit elles n’existent pas, soit elles restent symboliques… Et que dire de la réciprocité des normes définie au niveau européen, dont le dispositif n’est pas appliqué…
Clairement le cumul de tous les volumes concernés par ces accords menace nos productions de viande et l’équilibre de notre marché interne. Tout comme les contraintes imposées par l’Europe sur le bien-être animal par exemple à tous les échelons (exploitation, transport, abattage…).
Quels chantiers à venir ?
D. Fayel : La durabilité des élevages : la commission est en phase de réflexion sur le sujet. Notre rôle est de participer à cette réflexion en définissant ce que seront les élevages durables. Les éleveurs bovins sont particulièrement concernés du fait des émissions de CO2. Il y a aussi la Directive IED qui répertorie et qualifie les émissions dites industrielles en fixant des seuils de chargement, de nombre d’UGB… Nous considérons que les élevages bovins viande ne sont pas concernés par cette qualification d’élevage industriel, à nous de le défendre.
L’élevage bovin viande est aussi dans le viseur sur le climat, la consommation de viande…
Notre rôle est de faire entendre aux autorités européennes qu’il y a une vraie alerte sur l’élevage. L’itinéraire en élevage est plus compliqué que pour la filière végétale parce que notre existence même est remise en question sans cesse. Nous sommes considérés à tort uniquement sous l’angle des problèmes alors qu’il faudrait le voir sous celui des solutions. Il y a une autre voie que l’interdiction, la punition… Si on ne voit que des portes qui se ferment, que deviendra l’élevage demain ? On peut défendre une vision plus constructive tout en maintenant un niveau d’exigence.
Quel avenir pour l’élevage bovin ?
D. Fayel : La bonne nouvelle c’est que les besoins dans le monde sont croissants. On consomme plus de viande dans le monde. Nous devons ramener l’Union européenne dans cette réalité. Aujourd’hui à force de normes, d’accords bilatéraux, de pressions, elle se tire une balle dans le pied ! Et à ce jeu, l’élevage pourrait reculer bien plus que ce qu’elle imagine ! A nous d’inverser la tendance !».
Recueillis par Eva DZ
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