National | Par La rédaction

Congrès national de la FNP Vers une verticalisation inévitable de la filière porcine

Invités à l’occasion du congrès national de la FNP, qui se tiendra à Bourg-en-Bresse les 9 et 10 juin, Philippe Goetzmann et Béatrice Eon de Chezelles, participeront à une table-ronde sur le thème de «la résilience de l’élevage de porc face aux enjeux de la souveraineté alimentaire dans un monde ouvert». Ils donnent en avant-première quelques éléments de contexte sur la filière porcine et ses facultés à être plus résiliente.

Philippe Goetzmann, consultant en stratégie sur la nouvelle consommation. Président de Faire ! Mieux, plateforme pour aider à la conduite de projets portant sur la transition alimentaire. Crédit/DR

La filière porcine, comme d’autres filières productrices de viande fait face à des changements majeurs de consommation en cours dans la société. En témoigne Philippe Goetzmann, indépendant en conseil en stratégie et expert de la grande distribution : «Les modes de vie divergent de plus en plus. Si on prend sur les 20 dernières années, la première chose que l’on observe, c’est que 80 % de la croissance des repas a été captée par la restauration ou par le hors-domicile, c’est-à-dire par la livraison à domicile. Le retail (commerce de détail, ndlr) n’a capté que 20 % de cette croissance. On mange de moins en moins à la maison, c’est un peu moins vrai à la campagne». A cela s’ajoute la baisse de la consommation de produits carnés, qui ne concerne pas uniquement le porc. Mais pour le consultant, ce qui pèche, c’est surtout le déplacement de la valeur. «Les filières sont restées sur l’indice de qualité, sur l’origine des produits mais ce n’est plus le sujet, le sujet ce sont les modes de consommation. Quand vous achetez du porc au restaurant ou que vous vous faites livrer vous ne savez pas d’où vient le porc, s’il est Français ou non, et si vous pouvez le savoir, cela ne compte pas», précise-t-il. Problème, les plats traditionnels français semblent moins adaptés à ces nouveaux modes de consommation qui donnent la part belle à des plats d’origines différentes, notamment asiatiques (bo bun, sushi, poke bowl, etc.). Alors doit-on réinventer la cuisine traditionnelle française pour l’adapter à ces nouvelles modes ?

Projeter les clients dans un imaginaire

Pour Philippe Goetzmann, c’est bien le cas. «Il y a tout un travail d’écoute du client à faire, d’innovation, et de qualité relationnelle. Il faut partir de la fourchette, même des doigts, et remonter à la fourche et que les productions soient orientées comme ça. On est bien dans l’innovation alimentaire. Et c’est plus que du marketing, c’est projeter les gens dans un imaginaire. Cette valorisation immatérielle n’est pas assez faite aujourd’hui». A titre d’exemple, il cite le cas des planches charcuterie, très à la mode dans les bars à l’heure de l’apéro. Pourquoi ne pas en profiter pour valoriser plusieurs types de charcuteries locales (la charcuterie lyonnaise, le jambon kintoa AOP, le gratton du Médoc, la coppa de Corse, la porchetta, etc.) ? Le changement de paradigme est conséquent, pour les éleveurs, il s’agit de penser leur mode de production en fonction de la consommation de leurs produits. Les modes de pensée évoluent, à la filière d’en profiter pour monter en gamme, non pas forcément sur le plan gustatif, mais sur la question du bien-être animal, la gestion des effluents et de l’énergie ou les enjeux environnementaux. «Cette montée en gamme, aujourd’hui coûte très cher, comme les maternités en truies libres. Je crains avec la montée du prix des matières premières que l’on prenne du retard sur ces investissements. C’est ce qu’on va appeler du standard amélioré avec un cahier des charges au-dessus du réglementaire. Pour autant je ne pense pas qu’on s’oriente vers du bio ou du premium, parce que ça se heurte au fameux équilibre carcasse», note Béatrice Eon de Chezelles, experte viandes, charcuterie, traiteur à la Direction Agri Agro au Crédit agricole qui ajoute que les conseillers Crédit agricole sont formés à ces évolutions et participent à l’accompagnement des éleveurs dans leurs choix. Si pour elle la résilience de la filière sur le long terme ne passera pas seulement par le qualitatif, sa prise en compte est inévitable.

La solidarité au sein de la filière vitale

Pour Béatrice Eon de Chezelles comme pour Philippe Goetzmann, cette transition ne pourra incomber aux éleveurs seuls et devra impliquer l’ensemble des acteurs de la filière. En particulier parce que la filière porcine est fortement touchée par une démographie décroissante. Si l’agriculture, est de manière générale touchée par des difficultés de recrutement, la filière porcine subit de plein fouet sa dépendance au travail salarié. «Il y a des difficultés conjoncturelles, la très forte flambée du prix des intrants est un sujet qui pourrait accentuer la décroissance démographique. Autre sujet qui vient se heurter au potentiel jeune, c’est l’ampleur des investissements conjuguée à la volatilité des revenus», souligne Béatrice Eon de Chezelles. Pour l’experte, il est impératif de faire revenir les jeunes sur le chemin de l’installation. Problème, sans garantie d’un revenu assuré, il devient difficile de convaincre son banquier de leur faire confiance. C’est pourquoi, l’implication de l’ensemble des différents acteurs de la filière est indispensable pour elle. «Inévitablement, il faut qu’un jeune qui s’installe bénéficie d’une certaine visibilité pour l’avenir, notamment grâce aux actions d’accompagnement de son groupement à son égard. La filière a quand même une obligation, le volet 2 des aides proposées par Julien Denormandie en janvier dernier, était soumis à des accords de filière…», rappelle-t-elle.

Vers plus de concentration et de spécialisation

Pour Béatrice Eon de Chezelles, cette baisse de la démographie entraînera probablement «une croissance des ateliers et peut-être aussi une forme de spécialisation de la production en multi-sites. Ce sera le cas par exemple lorsqu’un éleveur reprendra l’exploitation du voisin, les sites vont se spécialiser, l’un en naisseur, l’autre en engraisseur». Une concentration des outils qui devrait permettre de renforcer la biosécurité, mais pas de compenser la baisse de production. Malgré cette tendance à la verticalisation, Béatrice Eon de Chezelles note le potentiel résilient de la filière française : une filière peu tournée vers l’export et qui dépend donc moins que d’autres des marchés mondiaux pour survivre. Elle se dit aussi confiante pour les années à venir, en particulier parce que la volonté d’y arriver au sein de la filière mais aussi politique, avec un grand nombre d’aides de l’État, est très forte.

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