Aveyron | Par Jérémy Duprat
Sarah Singla est agricultrice. Elle a repris la ferme de son grand-père en 2010. Et elle a continué dans ses pas avec des pratiques d’agriculture de conservation. Une pratique qu’elle affirme incontournable pour assurer la pérennité du monde agricole.
L’agriculture est aujourd’hui à un tournant social, environnemental et économique. Estimez-vous que l’agriculture de conservation des sols est la clé pour une agriculture raisonnée ?
Sarah Singla : «Aujourd’hui, nous prenons trop souvent les choses à l’envers. On croit souvent que s’il pleut sur les terres, c’est grâce à l’évaporation de l’eau des océans et des mers, mais en réalité, ces précipitations ne représentent que 30% du volume d’eau qui tombe sur les continents.
70% de la pluie qui tombe est liée à l’évapotranspiration des végétaux. Ce n’est pas le climat qui fait le sol, mais le sol qui fait le climat. S’il ne pleut pas dans les déserts c’est parce que les sols sont nus. Le seul moyen de faire reculer le désert, c’est de végétaliser les sols.
La base du cycle de l’eau c’est l’évapotranspiration. Et l’irrigation utilisée pour les cultures contribue à maintenir le cycle de l’eau.
Cela signifie que plus nous végétaliserons les sols, plus il y aura d’évapotranspiration, plus il y aura de nuages et plus il y aura de pluies. Et surtout, un retour à une régulation naturelle des régimes des pluies.
Nous pourrons revenir du cercle vicieux où s’alterne la saison sèche et la saison des pluies, au cercle vertueux des 4 saisons : automne, hiver, printemps, été.
Et le plus important est de couvrir les sols à des moments où la photosynthèse est à son maximum, c’est à dire en période estivale. La végétalisation à cette période là, sera réalisée par des plantes tels que du maïs ou encore des couverts végétaux implantés juste après la moisson. Et à un étage supérieur, ce seront les feuillus, plus que les conifères qui permettront de résoudre le problème. Les forêts de feuillus ne brûlent pas car elles évapotranspirent beaucoup d’eau pendant l’été.
Comment êtes-vous engagée pour tenter de faire bouger les lignes ?
Sarah Singla : Un agriculteur seul ne peut rien faire. Nous avons besoin de massifier et d’intensifier ces pratiques de végétalisation. Car, dans les faits, il ne pleut que si un nombre critique de gouttes dans les nuages est atteint. Ce qui signifie que si un nuage est formé par évapotranspiration mais que le nombre de gouttes d’eau à l’intérieur n’est pas suffisant, alors la pluie ne tombera pas.
Il faut donc avoir une approche globale et surtout territoriale de cet enjeu : ce n’est que par l’action collective, à l’échelle d’un territoire, d’un département, d’une région, que nous pourrons avoir un impact positif sur le climat.
La végétalisation des sols concerne tous les producteurs : qu’ils soient en AB, avec ou sans travail du sol, quel que soit leur type de production. Et c’est bien par ce biais, en rassemblant l’ensemble des agriculteurs autour de l’agronomie, que les pratiques changeront, que les clivages disparaîtront et que les choses se mettront en place. Nous ne devons pas agir avec dogmatisme et idéologie mais raisonner avec cohérence et pragmatisme.
L’agriculture est au cœur des solutions et non au centre des problèmes. Nous avons les solutions pour agir positivement, nous pouvons répondre à tous les enjeux auxquels nous sommes confrontés : que ce soit en terme de maintien et d’accroissement de la productivité, du maintien de la biodiversité, de la régulation des événements climatiques. Plus nous montrerons que l’agriculture offre des solutions concrètes aux maux actuels, plus ce métier restera attractif dans une société en quête de sens.
Aujourd’hui, quelle est la proportion d’agriculteurs qui se servent de la méthode de la conservation des sols ?
Autour de 10 à 15%. Il y a une sorte de règle qui veut qu’à partir de 20%, la croissance est exponentielle. C’est ce qui s’est passée avec l’utilisation du téléphone portable. Les grandes ruptures se produisent ainsi. Et après on se demande pourquoi on ne s’y est pas mis avant !
Les agriculteurs qui ne se mettront pas à l’agriculture de conservation des sols sont amenés à disparaître. Je le pense. Nos fermes sont toujours plus grandes, notre temps est toujours plus précieux, les jeunes qui viennent s’installer et remplacer les retraités ne veulent plus travailler 80 heures par semaine. La conservation des sols réduit grandement la charge de travail tout en permettant des bénéfices économiques, sociaux et environnementaux.
Les agriculteurs que j’accompagne en formation reprennent du plaisir à travailler. C’est un épanouissement de renouer avec cet aspect de conservation des sols».
Propos recueillis par Jérémy Duprat