Depuis 30 ans, les pics de pullulation des campagnols terrestres mettent à mal les prairies du nord Aveyron. Accompagnée par le PNR de l’Aubrac et appuyée par divers soutiens, la CUMA de Sainte Geneviève/Cantoin mène une expérimentation de lutte contre ce ravageur, dont les premiers résultats ont été présentés vendredi 17 novembre.
Réunis sur une parcelle de Guillaume Raynal, vice-président de la CUMA de Sainte Geneviève/Cantoin, les acteurs de l’expérimentation en cours de piégeage contre le campagnol terrestre ont expliqué in situ le dispositif en place pour accompagner les éleveurs dans la lutte contre ce ravageur des prairies. L’éleveur a posé le contexte : «Ce souci de cycles de pullulation de taupes, de rats perdure sur le nord Aveyron depuis plus de 30 ans mais ces dernières années, la taille des fermes augmentant, la main d’œuvre manquant dans les exploitations, la lutte contre le campagnol terrestre n’était plus aussi suivie. Il nous fallait réfléchir à une solution pour ne plus revivre ces derniers étés où la sécheresse couplée aux dégâts de ces ravageurs mettaient en péril nos prairies et nos élevages». En effet, la présence de rats dans les parcelles fait retourner la terre qui se mélange alors à l’herbe récoltée, un mix qui ne plaît guère aux vaches, qui empêche une bonne rumination et donc digestion… Et ce phénomène influe aussi sur la quantité d’herbe récoltée.
Un piégeage collectif et coordonné
«Certains éleveurs dont les parcelles étaient très impactées ont récolté deux tiers d’herbe en moins du fait de l’infestation des rats», témoigne Laurent Lemmet, adhérent à la CUMA de Sainte Geneviève/Cantoin et partie prenante dans cette expérimentation. L’une de ses vidéos prises par drône au-dessus de l’une de ses prairies que l’on aurait cru labourée tant les rats y avaient fait des dégâts est encore dans toutes les mémoires ! Il faut également prendre en compte la destruction des plantes par les rats et donc des prairies naturelles (qui représentent 95% des surfaces dans le nord Aveyron), des surfaces que les exploitants peinent à re-semer si le campagnol est toujours présent (sans compter les coûts supplémentaires engendrés). Un piégeage collectif et coordonné s’avérait donc une bonne solution pour l’ensemble des acteurs concernés sur un territoire précis pour mesurer l’efficacité, ainsi qu’un réseau de surveillance pour plus de réactivité. Encore fallait-il trouver les financements !
Le PNR de l’Aubrac s’est associé à cette réflexion de lutte et a pu mobiliser des fonds du Dispositif Biodiversité de la Région Occitanie, en concertation avec les organisations professionnelles agricoles (FDGDON Aveyron, FREDON Occitanie, Chambre d’agriculture de l’Aveyron, FD CUMA Aveyron, Conservatoire botanique du Massif central, élus locaux…). Des fonds qui ont permis à la CUMA de Sainte Geneviève/Cantoin d’embaucher, à plein temps, un piégeur. «Il se trouve que nous avions une personne intéressée localement par ce poste et que par ailleurs, 14 exploitations étaient prêtes à s’engager», poursuit Guillaume Raynal.
L’expérimentation a donc pu démarrer en septembre 2022, pour une durée de 3 ans. Finalement, 19 exploitations adhérentes à la CUMA de Sainte Geneviève/Cantoin adhèrent à ce service de piégeage qui concerne autour de 2 000 hectares. Pour la première année d’expérimentation, 65 000 euros ont été mobilisés dont une grosse partie a été dédiée à l’embauche de Laurent Felgines, le piégeur, par la CUMA et à l’animation de cette expérimentation par le PNR Aubrac à travers son chargé de mission agro-environnement, Ugolin Bourbon-Denis.
«La première étape était de lancer le service, de démarrer le dispositif et nous espérons que le partenariat va perdurer sur quelques années pour que nous puissions mener à bien cette expérimentation», avance Guillaume Raynal. L’ambition est en effet d’utiliser le piégeage comme un maintien de la basse densité des populations de campagnols. «L’intérêt pour plus d’efficacité, est de lutter pendant les périodes de basse densité de façon à limiter les pullulations», avance Laurent Lemmet qui s’occupe du planning d’intervention du piégeur. «Nous avons mis au point un planning pour optimiser les déplacements de Laurent. Il intervient sur des parcelles proches les unes des autres, de façon à former un réseau restreint, dense et cohérent et ainsi éviter la dispersion sur les parcelles voisines», explique l’agriculteur. Les chantiers sont organisés en fonction de la météo, de l’altitude aussi et un point est réalisé chaque semaine en réponse aux demandes des adhérents. «Laurent intervient tout au long de l’année», complète Laurent Lemmet. Un dispositif d’emploi partagé qui permet d’assurer une certaine souplesse. «Nous nous sommes appuyés sur d’autres expérimentations menées dans le Massif central comme à Volvic par exemple où un piégeur professionnel intervient depuis plusieurs années», avance Laurent Lemmet. Un échange d’expériences qui a permis à Laurent Felgines, le piégeur de se former. «Je suis un gosse de la nature. Ce poste m’intéressait parce qu’il me permet de mettre à disposition des agriculteurs, mes connaissances du terrain», témoigne Laurent qui installait ses premiers pièges à taupe à l’âge de 5 ans !
«Observer et piéger pour maintenir une basse densité»
Et après 12 mois d’expérimentation, les résultats sont plutôt encourageants. Entre septembre et décembre 2022, jusqu’à 130 individus (taupes et campagnols) ont été piégés par hectare. En début d’année, le piégeage a été tout aussi efficace même si sur 2023, la pullulation a été stoppée, peut-être consécutivement à la sécheresse de l’été précédent. Mais le piégeur est resté très actif sur les taupes qui se chargent du creusement des galeries, dont profitent ensuite les campagnols. Et en cette fin d’année, le piégeage est ciblé sur les colonies de campagnols de nouveau actives, repérées grâce à la surveillance des parcelles. «Les adhérents du service sont très satisfaits de cette expérimentation. Clairement cette année pour la récolte des foins, nous avons ramassé beaucoup moins de terre», résume Laurent Lemmet.
Un service d’intérêt général
«Il faut noter la motivation du groupe d’agriculteurs autour de ce projet», a salué Jean Valadier, membre du bureau du PNR Aubrac. «Depuis 30 ans, les campagnols pullulent, détruisent nos prairies, fragilisent nos ressources, je pense aussi à l’impact sur l’eau. La lutte contre le campagnol terreste est à mon sens, une question d’intérêt général ou pour le moins de santé publique», estime l’élu local. Et le Parc dans ce dossier, remplit pleinement sa mission de mise en œuvre expérimentale, d’apport d’ingénierie. Il espère d’ailleurs initier d’autres groupes d’agriculteurs à cette expérimentation. «Nous avons candidaté au Fonds vert de l’Etat pour accompagner la création d’un deuxième collectif d’agriculteurs dans un autre secteur de l’Aubrac», a avancé Jean Valadier. Cette nouvelle expérimentation s’appuiera sur les enseignements tirés de cette première période-test à Argences en Aubrac. Un test que le groupe espère voir perdurer à travers les contrats de lutte signés par les agriculteurs et financés par le FMSE. «Si les prestations de piégeage ainsi que les pièges peuvent être financés, la CUMA pourra pérenniser son service Campagnol», espèrent les responsables de la CUMA.
Eva DZ
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