Aveyron | Par eva dz
Yves Madre est l’invité de la FDSEA pour son assemblée générale. Il se présente, explique ce qu’est FARM Europe, le think tank qu’il a participé à fonder et livre les grandes lignes de son intervention à suivre le 23 février après-midi à Flavin.
Pouvez-vous vous présenter ?
Y. Madre : «Je suis agronome, économiste, et membre fondateur du cercle de réflexion FARM Europe. Auparavant j’étais négociateur pour la France aux affaires agricoles et sanitaires européennes, puis conseiller de Dacian Ciolos pendant les 5 ans de son mandat de Commissaire européen à l’agriculture et au développement rural durant les négociations et la mise en place de la réforme de la PAC 2013. Je préside actuellement le cercle de réflexion FARM Europe, sur les volets économie agricole et développement des territoires.
Qu’est-ce que FARM Europe ?
Y. Madre : Il s’agit d’un cercle de réflexion qui rassemble tous les maillons européens. Nous travaillons à l’élaboration de propositions destinées aux décideurs européens, pour faire avancer les économies rurales. Notre objectif vise la double performance économique et de durabilité sans décroissance et le progrès du monde agricole en rentabilité. Il ne s’agit pas de penser le monde merveilleux en 2060 que nous ne connaîtrons pas mais bien de dessiner les contours d’une politique européenne efficace et efficiente pour ses Etats membres.
Notre rôle est d’accompagner les législateurs européens dans l’élaboration de leur politique en nous appuyant sur les filières européennes nationales et régionales.
«Ramener de la réalité dans les politiques européennes»
Pourquoi avoir créé ce cercle de réflexion FARM Europe ?
Y. Madre : En étant côté Etat membre représentant la France puis côté Commission européenne dans mon cursus, je suis parti d’un constat : la commission n’a pas la science infuse ! De plus nous étions dans un schéma d’évolution des politiques qui se reproduisaient sans cesse ou bien qui reprenaient des idées les plus couramment représentées dans la bulle médiatique à Bruxelles. L’idée à travers ce cercle de réflexion était de ramener un peu de fond et surtout de réalisme aux politiques européennes. De lui faire remettre les pieds sur terre ! Les politiques européennes devaient refaire sens, c’est-à-dire s’inspirer du bon sens paysan de nos territoires ! Il ne s’agissait pas de se faire plaisir avec des concepts irréalisables, de se projeter dans une société virtuelle qu’on idéalise, mais bien de ramener de la réalité, d’être dans le vrai.
Notre cercle de réflexion vise à combler le fossé qui s’est créé entre le citoyen européen et ceux qui doivent donner un cap à la politique européenne.
«Pas du positionnement pour du positionnement mais des propositions issues de démonstrations par les chiffres»
Qui participe à FARM Europe ?
Y. Madre : Nos membres sont issus de 17 Etats membres différents. Nous sommes fondés sur un trépied qui nous apporte la stabilité, à savoir un tiers de nos membres sont des organisations professionnelles nationales et régionales, qui représentent la base, le terrain ; un tiers sont des entreprises de transformation et de stockage, coopératives ou entreprises privées et enfin un tiers qui représente les instituts de recherche, les banques, les assureurs… Nous évoluons dans les domaines agricole, agroalimentaire, de l’énergie, de l’environnement, du commerce, de l’alimentation. Les filières avec lesquelles nous travaillons sont à la fois animales (FNO, FNPL, FNB…) et végétales.
Quelle influence déploie FARM Europe sur les politiques européennes ?
Y. Madre : On se retrousse les manches ! On produit des analyses, des études. Nous pouvons nous permettre d’être cash et décapants dans la mesure où nous pouvons justifier nos positions, nos propositions par des chiffres. Des propositions que l’on peut défendre auprès des députés européens. Nous ne faisons pas de positionnement pour du positionnement, nous sommes dans la démonstration des effets de nos propositions. On analyse : où en est-on ? Où voulons-nous aller ? Comment arriver où nous voulons aller ?
«La crise agricole était inéluctable»
Quel regard portez-vous sur les actions menées par les agriculteurs ces dernières semaines, et ce dans plusieurs pays européens ?
Y. Madre : Cette révolte des agriculteurs était inéluctable ! Elle a démarré il y a un an déjà aux Pays-Bas puis elle s’est propagé dans de nombreux pays, en France ces dernières semaines. En 2019, nous avions déjà à FARM Europe, tiré la sonnette d’alarme. Nous leur avions dit : attention vous allez dans le mur avec vos propositions de Green Deal et de Farm to Fork ! Ces projets allaient rendre les choses difficiles avec en plus un budget moins doté pour l’agriculture et la mise en place de la nouvelle réforme de la PAC.
Cette crise agricole était inscrite… Elle ne nous surprend pas étant donné le contexte inflationniste, le coût des matières premières et leur effet ciseau sur le prix de revient. À cela s’ajoutent le conflit en Ukraine et des soutiens publics en baisse de plus de 30% en 20 ans… A la problématique «ça va vous coûter plus cher à produire», la réponse de l’Europe de dire «vous pourrez vous en sortir par l’investissement et la montée en gamme» ne s’est jamais matérialisée… D’une PAC qui devait inciter au développement avec un budget conforté, on arrive en fait à une PAC low cost, non dotée ! Et en face des marchés qui n’ont pas répondu pour compenser la baisse des soutiens publics. Forcément les agriculteurs sont en droit de se demander : que veut-on de nous ? Sachant qu’ils ont fait les efforts demandés et ce bien avant le Green Deal… Et qu’on stigmatise toujours les agriculteurs comme des bêtes noires. On leur donne moins d’argent parce qu’on dit qu’ils sont mauvais et on leur donne plus d’obligations ! Dans ce contexte, la mobilisation des agriculteurs était inéluctable. On se demande même pourquoi elle ne s’est pas éveillée plus tôt ! Pendant les 20 dernières années, l’inflation s’est maintenue entre 0 et 2%, les agriculteurs ont fait le dos rond, mais face à une situation économique qui s’est dégradée, leur résistance s’est elle aussi érodée. Ils se retrouvent nus dans un climat où il fait très froid !
«Les agriculteurs ont des raisons d’y croire»
Que peut-on attendre de la politique européenne pour son agriculture ?
Y. Madre : Aujourd’hui nous sommes réellement à la croisée des chemins : soit on redresse la barre, soit c’est la descente inéluctable ! Jusqu’à présent, chacun agissait de son côté dans un climat de concurrence intra-communautaire, il faut dépasser celà. À mon sens, la réponse sera européenne ou ne sera pas. Mais les agriculteurs ont encore des raisons d’y croire. Nous avons les solutions en main qui ne demandent qu’à être mises en œuvre : un gain de productivité et de durabilité, une bouffée d’oxygène sur la rentabilité. Il faut dépasser le mur d’investissement, aller chercher des financements. Les outils sont là, il faut la volonté politique de les utiliser. L’agriculture est clairement en capacité de rebondir, pour preuve, elle tient une bonne place dans le cœur des consommateurs. D’ailleurs je pense que l’une des clés est de reconnecter les consommateurs et les agriculteurs, notamment dans les filières élevage. Il faut retrouver de la marge via les filières. S’inscrire dans des schémas d’innovation, reprendre des parts de marché à l’échelle européenne et au sein des Etats membres. On peut rebondir à condition d’y mettre de la volonté politique et des moyens.
Dans ce schéma, la France n’est pas la plus mal lotie, d’autres pays ont déjà décroché mais chez nous, il est encore possible de redresser la barre. Si le tropisme des hommes politiques s’affirme, c’est le moment d’être réaliste et ambitieux pour l’agriculture mais s’il ne s’affirme pas, nous deviendrons les 4ème couteaux, une zone importatrice mondiale et ayant perdu notre place de leader, nous n’imposerons plus rien au monde !
A FARM Europe, nous avons créé un indicateur de souveraineté qui mesure la production, l’économie, les consommations, l’environnement, les bioénergies, la bioéconomie, l’alimentation animale… à l’échelle des Etats membres et de l’Union européenne. Nous savons aujourd’hui où ça pêche, où nous avons des marges de progrès. Aux politiques de décider si on agit ou pas…».
Recueillis par Eva DZ