Aveyron | National | Par La rédaction

Pierre Casenave, président du GTV Aveyron : «La libre diffusion de la DNC entraînerait des conséquences désastreuses»

Pierre Casenave est vétérinaire praticien en Aveyron, référent en Dermatose Nodulaire Contagieuse, pour la Société Nationale des Groupements Techniques Vétérinaires et chargé d’enseignement à l’école nationale vétérinaire de Toulouse. Il répond aux questions de La Volonté Paysanne, sur les impacts et conséquences de la maladie pour le cheptel bovin français.

Quelle est la gravité de la DNC sur la santé des animaux touchés ?

P. Casenave : «La DNC est une maladie contagieuse grave qui entraîne une forte altération de l’état général, liée à l’apparition de nodules douloureux, aussi bien au niveau cutané que sur les organes internes chez certains animaux. La maladie entraîne également des baisses de production importantes pouvant durer plusieurs semaines à plusieurs mois.

Quel est le taux de mortalité et de morbidité lorsqu’un troupeau est touché ?

P. Casenave : La morbidité se situe classiquement entre 20 et 50% des animaux de l’effectif mais peut monter jusqu’à 80-90%. On parle bien ici des animaux qui vont déclencher des signes cliniques sachant qu’à plus ou moins long terme selon la dynamique de l’in- fection au sein du lot, quasiment 100% des animaux vont être infectés (même s’ils ne déclenchent pas de signes cliniques). La mortalité se situe, elle, entre 5 et 10%.


Ces taux de mortalité et de morbidité sont parfois controversés : à quels chiffres peut-on se fier ?

P. Casenave : Les chiffres fournis sont les mêmes que le CIRAD, l’ANSES et l’INRAE qui sont des institutions sérieuses et reconnues. Ils découlent d’une revue de la littérature scientifique sur le sujet. On parle bien ici de fourchettes, ce n’est en aucun cas prédictif de ce qui pourrait être la réalité au sein de chaque élevage contaminé.

Pourquoi cette maladie est-elle classée A (c’est-à-dire à éradication immédiate) par l’Europe comme la fièvre aphteuse ?

P. Casenave : Elle est classée A parce qu’elle est grave (et non l’inverse).

La libre diffusion de cette maladie entraînerait des conséquences désastreuses en termes de bien- être animal (malades et morts), de chutes de production et du fait de la perte de notre statut, de l’incapacité à poursuivre les échanges avec nos partenaires commerciaux.

Quels sont les moyens de lutte contre cette maladie ?


P. Casenave : Les moyens de lutte sont le fruit d’un consensus scientifique et se déclinent de la façon suivante :

– Identification et élimination rapide du virus : examen quotidien des animaux par les éleveurs, déclaration des cas, dépeuplement des animaux (principales sources de virus), désinfection et désinsectisation des foyers (protocole strict) une fois ceux-ci dépeuplés

– Biosécurité : interdiction des mouvements afin de ne pas déplacer d’animaux infectés non cliniques et de laisser s’échapper la maladie

– Vaccination : protection des animaux au sein d’une zone réglementée afin de créer une barrière à l’évolution du virus.

Ces moyens sont-ils suffisants et efficaces étant donné que la maladie continue de se propager ?


P. Casenave : Si on reprend l’exemple des départements de Savoie où ce protocole a été appliqué de façon relativement stricte, on s’aperçoit aujourd’hui que ça a marché. En l’état des connaissances, les bonds de la maladie ne peuvent s’expliquer que par du transport d’animaux infectés qu’ils soient cliniques ou non.

Dans un contexte où la peur domine, comment les éleveurs peuvent-ils se prémunir de la maladie ?

P. Casenave : En respectant le strict respect des règles de Biosécurité et en reportant les introductions d’animaux lorsque cela est possible. Une mesure demandée par certains acteurs lors de la réunion de crise du 16 décembre en Aveyron est de renforcer la limitation des mouvements, particulièrement dans le sens Sud/ Nord.

Quels sont les risques et conséquences de ne pas abattre l’ensemble du troupeau ?

P. Casenave : La maladie est contagieuse : dans un groupe d’animaux où elle est introduite, on va passer de 0 animal à quasiment 100% (ce qu’on ignore c’est la vitesse à laquelle ça va se produire qui est variable selon les cas).

Aussi quand on observe un troupeau dans lequel le virus a été mis en évidence à un instant T, on a différentes catégories d’animaux :

– Des animaux infectés avec des signes cliniques (dont les nodules)

– Des animaux infectés sans signes cliniques

– Des animaux infectés en cours d’incubation (sans qu’on sache à ce moment s’ils vont devenir cliniques ou pas)
– Des animaux pas encore infectés

En dehors de ceux qui présentent des signes cliniques, il n’existe aucun moyen de différencier avec certitude les autres catégories. Pour autant, les infectés non cliniques peuvent être infectants (moins que des animaux cliniques). En faisant de l’abattage partiel, il existe un grand risque de laisser des animaux infectés et donc infectants et de permettre au virus de se multiplier.

Est-il possible de mettre en place un protocole expérimental : tests, quarantaines, abattages isolés des animaux malades ?

P. Casenave : C’est une option envisagée par la ministre et un groupe d’experts scientifiques vient d’être mis en place pour évaluer de façon indépendante la balance bénéfice/risque des protocoles alternatifs proposés.

Quelles sont les conséquences d’une vaccination de l’ensemble du troupeau français ?


P. Casenave : Une vaccination totale implique différentes contraintes :
– Logistique : disponibilité des vaccins, main d’œuvre, contention…

– Financière : Coût de la vaccination
Limitation des possibilités d’échanges sur un pas de temps assez long sous réserve que nos partenaires veuillent bien continuer à nous acheter des bovins car une vaccination totale renverrait l’image d’une perte de maîtrise de la maladie et entraînerait immanquablement une perte de confiance de nos partenaires commerciaux.

Enfin, le vaccin engendre un certain nombre d’effets secondaires.

En résumé, la balance bénéfice/risque de la vaccination est largement favorable en zone réglementée mais elle l’est beaucoup moins en zone indemne à distance des foyers.

La vaccination est-elle efficace ?

P. Casenave : Le vaccin est très efficace dès lors que l’animal n’est pas déjà infecté au moment de l’administration ou ne s’infecte pas avant l’acquisition d’une immunité complète soit 21 jours après l’injection.

Quels sont les risques pour le cheptel français si les mesures de lutte ne sont pas respectées ? Et si la maladie continue de se propager ?

P. Casenave : Je répète ce que j’ai dit plus haut : à plus ou moins long terme selon la dynamique de l’infection au sein d’un troupeau, quasiment 100% des animaux vont être infectés, surtout si il n’y a pas de déclaration de la maladie par l’éleveur.

Si la maladie continue de se propager, la France perdra son statut indemne et cette perte de statut entraînera le blocage de notre capacité à échanger.

Les autres pays impactés appliquent-ils le même protocole ?

P. Casenave : Tous les pays européens appliquent exactement le même protocole. A l’heure actuelle, seules la Sardaigne et l’Espagne ont des foyers de DNC».

La rédaction

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