National | Par Agra

Microplastiques : nouveau fléau des sols agricoles

Les sols sont le parent pauvre de la recherche sur la pollution plastique. « Le milieu marin est le plus étudié, puis les eaux continentales. Les sols, c’est là où il y a le plus de trous aujourd’hui : les recherches n’ont commencé qu’en 2015 », constate Bruno Tassin, chercheur sur les sources de contamination à l’École des Ponts ParisTech. Pourtant la pollution plastique des sols est « ubiquitaire », selon l’expertise scientifique collective (ESCo) sur les plastiques en agriculture menée par l’Inrae et le CNRS, dont la synthèse (en anglais) est parue en octobre. Autrement dit : elle est partout, laissant des traces jusque dans les forêts primaires, les déserts et les pics de l’Himalaya.

À l’épreuve du temps et des éléments, les plastiques tels qu’on les connaît se fragmentent en particules de différentes tailles : les macroplastiques (taille supérieure à 5 mm), les microplastiques (1 μm à 5 mm) et les nanoplastiques (taille inférieure à 1 μm). En France, on estime en moyenne la contamination des sols agricoles à 244 kg de microplastiques par hectare dans la couche superficielle du sol (20 cm), selon la première étude nationale du genre parue en 2024.

À l’autre bout du monde, en Chine, où les paillages plastiques sont arrivés en 1978, certains sols sont saturés. « En Chine, certains sols aujourd’hui ne sont plus cultivables car des quantités énormes de plastiques agricoles ont été utilisées sur les champs, et ont laissé d’importantes quantités de fragments de plastiques dans les sols », affirme Marie-France Dignac, chercheuse en biologie des sols à l’Inrae.

Impacts environnementaux

L’essor du plastique en agriculture date d’après la Deuxième guerre mondiale. Il a d’abord été présenté comme une solution moins chère et efficace en substitut des matériaux existants, puis a permis l’intensification de l’agriculture. « C’est sûr que le plastique, c’est pratique. En agriculture, il coûte très peu cher, et à court terme il peut avoir des effets positifs sur la rétention d’eau par exemple. Mais à long terme, le plastique pollue et diminue la qualité des sols. De plus, on ne sait pas éliminer la pollution plastique : on ne pourra jamais dépolluer un sol pollué par les microplastiques », indique Marie-France Dignac, par ailleurs membre de la coalition de scientifiques pour un traité efficace sur les plastiques.

Les impacts environnementaux des microplastiques dans les sols sont multiples. Il y a d’abord les impacts « physiques ». « Leur présence peut changer la circulation de l’eau dans les pores du sol, le processus de fourniture de l’azote aux plantes, et le processus de stockage du carbone dans les sols », explique la chercheuse.

Ils peuvent aussi perturber la microbiologie du sol car ils servent d’habitat à des colonies de microorganismes (bactéries, champignons), constituant ainsi la fameuse « plastisphère » à l’interface sol-plastique. Ils peuvent aussi fixer et transporter d’autres polluants, comme les métaux lourds et les pesticides.

En outre, les microplastiques perturbent la faune du sol. Les vers de terre et les nématodes sont les organismes du sol les plus étudiés, d’après l’ESCo. Et la liste d’effets indésirables qu’ils subissent est longue : altération du comportement, altération du système digestif, stress oxydatif, hausse de la mortalité. Chez les nématodes, on a aussi observé des impacts sur la reproduction, la croissance et une baisse de la durée de vie.

Conséquences sur les cultures

Même les plantes cultivées peuvent être contaminées. « On sait que les microplastiques peuvent passer à l’intérieur des tissus végétaux ou animaux », confirme Frédéric Gimbert, écotoxicologue au CNRS. « Cela dépend de plusieurs facteurs : la taille, on sait que plus c’est petit plus ça passe ; la forme (fragments, billes, films, fibres) qui peut avoir un impact sur la capacité de diffusion des microplastiques dans les écosystèmes ; le type de polymère qui compose le plastique (polystyrène, polyéthylène, polyamide, polypropylène, polycarbonate) ; et les additifs chimiques ajoutés au plastique qui relèvent très souvent du secret industriel ».

Ainsi, les microplastiques peuvent perturber le développement racinaire et l’absorption de l’eau, détaille l’ESCo. Fragmentés en nanoplastiques, ils peuvent entrer dans les cellules des plantes, notamment dans les racines, pour être ensuite transportés jusqu’aux pousses, par exemple de blé et de laitue. Des composés chimiques du plastique comme le bisphénol A (BPA, interdit en France depuis 2015, NDLR), le nonylphénol et les phtalates peuvent aussi se retrouver dans les grains de blé.

Quelques travaux ont montré la présence de microplastiques dans les fruits et légumes. « Ce sont des études sérieuses, mais pour avoir des connaissances plus globales sur les microplastiques dans les plantes, il faudrait plus d’études », indique Marie-France Dignac. « On ne connaît pas les mécanismes d’entrée de ces particules dans les plantes. Des prélèvements par les racines ont été montrés. Mais comment sont-elles transférées vers les parties aériennes des plantes ? C’est un autre sujet de recherche à développer », détaille-t-elle. « Une étude récente montre que les microplastiques de la pollution aérienne peuvent aussi rentrer dans les plantes par les stomates », ajoute la chercheuse.

Autant de signes qui montrent que les microplastiques peuvent remonter la chaîne alimentaire, comme l’observe Frédéric Gimbert dans ses travaux sur l’escargot. « Manifestement, on voit des transferts dans la chaîne trophique », affirme-t-il. Dans une première étude menée avec les Pays-Bas, il a constaté que les escargots exposés à des nanoplastiques, via la laitue, présentent des perturbations dans leur cycle de développement. Dans une deuxième étude menée avec l’Italie (pas encore publiée), il a retrouvé des nanoplastiques dans des larves de carabes qui s’alimentaient d’escargots dont la nourriture était contaminée. « Chez les carabes ça a entraîné des modifications de leur statut immunitaire », détaille l’écotoxicologue.

Baisse des rendements

Des chercheurs se sont aussi intéressés aux rendements. Une méta-analyse chinoise de 2019 conclut que les rendements en maïs, pomme de terre et coton « diminuent significativement » quand la quantité de résidus de films en plastique est supérieure à 240kg/ha – soit le niveau moyen estimé en France sur les sols superficiels pour les microplastiques.

Une autre méta-analyse chinoise publiée en 2025, dans PNAS, s’intéresse à l’impact des microplastiques sur la photosynthèse, sujet jusqu’alors controversé scientifiquement. Au terme d’une métanalyse et de travaux de modélisation, ils concluent que les microplastiques réduisent de 6 à 17 % la photosynthèse des plantes terrestres. Transposant ce résultat à l’agriculture mondiale, ils estiment que cela représente une perte de rendement annuelle de 4 à 13,5 % pour le riz, le blé et le maïs (soit -110 à -361Mt sur un an).

Pour Marie-France Dignac, le fait qu’on puisse réaliser une méta-analyse montre qu’il y a déjà beaucoup d’études qui prouvent un lien entre la présence de microplastiques dans les sols et la baisse de la teneur en chlorophylle. « Tirer des conclusions sur les baisses de rendements au niveau mondial est à prendre avec précaution. Mais cette étude à l’avantage de faire un tour d’horizon de tout ce qui a été publié sur les impacts des microplastiques sur les plantes, qui pourraient impacter la photosynthèse », analyse-t-elle.

L’élevage, pas épargné

Les cultures sont directement concernées, et l’élevage aussi. Les principales voies d’exposition aux microplastiques sont l’alimentation (contaminée via le sol, les silos de stockage, les sacs d’aliments), l’eau (contaminée à la source ou au contact d’équipements en plastique) et l’air (en bâtiments mal ventilés), détaille l’ESCo. Une étude estime que les ruminants ingèrent entre 3 mg et 677 mg de microplastiques par semaine. D’autres travaux ont identifié des microplastiques dans le lait cru, les excréments de moutons, de vaches laitières, de porcs et de volailles, et dans des organes de poulets.

De même que pour les grains de blé, du BPA et des phtalates ont été trouvés dans l’urine de bovins et la viande de porc. Enfin, d’autres études ont identifié un effet négatif des microplastiques sur le développement des poulets, et une baisse de production laitière chez les ruminants ayant ingéré des macroplastiques (>5mm).

Laurene Mainguy / Agra

Toutes les actualités

Sur le même sujet

La loi d’avenir pour l’agriculture fête cette année ses dix ans. Mise en œuvre par le ministre de l’agriculture d’alors, Stéphane Le Foll, elle a posé les bases de l’agroécologie. Elle a modifié durablement les pratiques agronomiques et entraîné de nouveaux comportements dans toute la société.  iStock-arenysam A l’occasion des dix ans de ce qu’on appelle «les lois Le Foll», le Groupement d’intérêt scientifique (GIS-Relance agronomique) et le ministère de l’agriculture (MinAgri) ont organisé une journée de rencontres sur le thème de l’agroécologie. L’objectif était de rappeler comment cette science est devenue le socle des politiques agricoles en France et en Europe, avec le Pacte Vert (Green Deal), et de montrer à travers différents exemples concrets, la façon dont elle…