National | Par La rédaction
Biocarburants, lin, bois, céréales, jus de pommes, viandes, cuivre, minerai de fer, or…. Depuis 38 ans déjà, le rapport CyclOpe scrute les évolutions des commodités et des produits de toute nature. Les cadres géopolitique et climatique pèsent sur les cours mondiaux.
Philippe Chalmin professeur d’histoire économique à l’Université Paris-Dauphine est l’auteur du 38ème rapport Cyclope.
Philippe Chalmin professeur d’histoire économique à l’Université Paris-Dauphine et coordinateur du Cyclope a rappelé qu’en 1986, date de la parution du tout premier rapport, la Russie était le premier importateur mondial de grains. Presque quatre décennies plus tard, elle est le premier pays exportateur de blé. Un renversement de tendance qui s’explique par de nombreux facteurs à fois géopolitiques et climatique : la chute du Mur de Berlin, l’éclatement de l’empire russe et de ses satellites mais aussi le réchauffement climatique qui a permis à la Russie de gagner plusieurs milliers de kilomètres carrés de terres agricoles arables, dans sa partie sibérienne. Ces facteurs pèsent immanquablement sur les cours mondiaux, aussi bien à la hausse comme pendant le Covid et les premiers mois de l’invasion de la Russie en Ukraine, qu’à la baisse quand les effets spéculatifs prennent fin ou que l’offre devient supérieure à la demande.
Le 38e rapport souligne ainsi que les cours mondiaux des denrées de base de l’alimentation animale (blé, soja, maïs…) ont reflué entre 18 % et 30 % en 2023. Cette baisse devrait selon toute vraisemblance, se poursuivre dans l’année en cours : -6 % pour le soja ; -10 % sur le maïs. Ce qui pourrait être de bon augure pour certains éleveurs, notamment les aviculteurs dont le coût de production est constitué à 60 % du coût de l’aliment. L’année 2023 a vu l’effondrement des cours de céréales car l’offre a été abondante. «On devrait terminer l’année avec des stocks en hausse», a prévenu François Luguenot, analyste de marchés de matières premières agricoles et directeur de FL Consultants.
Coût du fret à la hausse
Le rapport s’inquiète surtout que, sur le commerce international, «il n’y a plus de pilote dans l’avion». En effet, la «13e conférence ministérielle de l’Organisation mondiale du commerce (OMC) s’est soldée par un échec dans l’indifférence la plus totale». Faute d’arbitre, chacune des grandes puissances économiques a donc repris ses aises, faisant peser un peu plus d’incertitudes sur le cours des matières premières. Là encore géopolitique et climat devraient avoir des incidences : les abondantes pluies des premiers mois dans l’hémisphère Nord font craindre une baisse de la production … qui serait compensée par une hausse des récoltes dans l’hémisphère Sud. L’un dans l’autre, «il semble difficile d’envisager une baisse significative des prix céréaliers déjà très bas», pointe-t-il.
Des tensions pourraient cependant survenir si, d’aventure, des passages stratégiques devaient fermer comme le Canal de Suez ou celui de Panama (fortement impacté à l’été 2023 par une forte sécheresse). Déjà le coût du fret maritime est reparti à la hausse en raison de l’allongement des trajets, de la restriction de certains passages et de l’augmentation des péages, des assurances et du prix des conteneurs. Les tensions pourraient aussi venir de l’élection présidentielle aux Etats-Unis en novembre prochain. Elle pourrait «engendrer un nouvel ordre économique international», a analysé Philippe Chalmin.
La Chine fait le marché
Dans ce dernier opus fort de plus de 750 pages*, Jean-Paul Simier économiste, spécialiste des marchés agricoles et agroalimentaires, note que les prix de la viande en 2023 ont baissé de 3 %, du fait d’une plus grande disponibilité chez les grands exportateurs mondiaux. En fait, «c’est toujours la Chine qui fait le marché, non seulement en porc, mais pour l’ensemble des viandes», a-t-il dit. En 2023 les achats de Pékin ont progressé de 4 %, après -20% en 2022. Ils sont en hausse de 60 % depuis 2017 et représentent 22 % des échanges mondiaux (soit 8Mt contre 5Mt avant l’épidémie de peste porcine en 2018). En 2024, malgré une demande handicapée par l’inflation, les prix devraient se maintenir compte tenu d’une faible progression de la production de viande, notamment en Europe et aux États-Unis. A elle seule, la Chine qui représente 18 % de la population concentre 29 % de la consommation mondiale de viandes. «Elle assèche le marché des viandes», a analysé Jean-Paul Simier.
(*) Rapport Cyclope 2023 – éditions Economica – 450 pages – 139 euros
La rédaction