National | Par La rédaction

Forêts d’aujourd’hui et de demain : les enjeux de préservation de la biodiversité et de la multifonctionnalité de la forêt

Le 10 décembre, Solagro organisait un webinaire d’information sur la thématique : comment préserver la biodiversité et améliorer la multifonctionnalité de nos forêts d’aujourd’hui et de demain, en France et en Europe en général ?

Pour l’entreprise en ingénierie, conseil et formation dans le secteur de l’agro-écologie, la méthanisation, le bois énergie, les stratégies territoriales et le gaz renouvelable, c’était l’occasion de revenir sur leur scénario Afterres2050 ; mesures complétées par les interventions des partenaires, tels que l’Association Francis Hallé pour la forêt primaire, WWF, ou encore les acteurs de la mission GT zones de pleine naturalité pour la Commission nationale de l’UNESCO.

Panorama non exhaustif du paysage actuel

Le projet Afterres2050, consiste donc en un scénario d’utilisation des terres agricoles et forestières pour satisfaire les besoins alimentaires, énergétiques, en matériaux, et réduire les gaz à effet de serre à l’horizon 2050. Il est développé par Solagro, pour le territoire français, qui est dédiée à la recherche et l’accompagnement dans la transition agro-écologique alimentaire énergétique et climatique. Afterres2050 complète et enrichit le scénario négaWatt1, dont il est inspiré et partage les objectifs de «sobriété, efficacité et durabilité». Il sert de base aux hypothèses négaWatt sur le bois énergie et le biogaz, en incluant l’agriculture, l’alimentation, la forêt et la terre.
Dans Afterres2050, basé sur des prospectives normatives et chiffrées, les principaux enjeux sont établis en fonction de limites planétaires à ne pas dépasser : différents planchers et plafonds sociaux et écologiques, qui indiquent au moins des états de dégradation de la qualité de vie et des niveaux sanitaires, et au niveau maximum, pourrait menacer la survie de l’humanité et l’ensemble des espèces. Les scientifiques ont ainsi travaillé sur chaque domaine pour établir une ligne de conduite, ainsi que des solutions, main dans la main avec les politiques publiques.
Cette étude s’inscrit d’ailleurs dans le cadre de la stratégie nationale pour la biodiversité, concerne aussi la Loi de restauration de la Nature, ainsi que la réglementation européenne contre la déforestation et la dégradation des forêts.

©master1305 sur Freepik

Pour Afterres2050, l’objectif à l’horizon 2050 est d’arriver à 19 millions d’ha de forêts en France (aujourd’hui 17 millions d’ha).

Florin Malafosse et Caroline Gibert, respectivement expert forêt et filière bois, et responsable de l’activité Agroécologie/Biodiversité, à Solagro, ont entrepris de présenter les grandes lignes du projet à adopter, et plus particulièrement celles concernant la filière forêt et bois, stratégies à la clé.
Voici donc un extrait des objectifs poursuivis: un but de sobriété efficace, en relocalisant l’empreinte carbone, la lutte contre les pollutions et le réchauffement climatique notamment par une gestion adaptative des espaces naturels, dans la lignée des engagements en cours quant à la réduction des émissions de gaz à effet de serre, Solagro propose de réduire de 46% celles provenant de l’agriculture…
Préserver la biomasse malgré des besoins exponentiels, en privilégiant le renouvelable (et en remplaçant l’exploitation des ressources fossiles). Stopper, naturellement, la déforestation terrestre et aquatique importée (induites sur des produits tels que le soja, les crevettes…).
De manière générale, repenser le rapport au vivant, mieux protéger et exploiter les forêts. Construire des systèmes agricoles et alimentaires résilients : produire en préservant la biodiversité, améliorer les outils de préservation, particulièrement autour de la filière bois. Dans ce secteur, les objectifs seraient également d’augmenter de façon modérée les volumes prélevés pour le bois énergie, d’œuvre, d’industrie…
Par exemple, une solution pourrait être de s’orienter vers une gestion différenciée (variabilité de l’entretien) des massifs.
Cela pourrait être aussi, de se tourner vers des systèmes de forêts mosaïques (diversification des espaces et des essences, parfois exotiques), assurer un maillage entre ces zones ; développer des sylvicultures en futaies jardinées (type de sylviculture moins perturbateur, adopter une stratégie d’extensification sur des massifs déjà soumis à prélèvements, créer des réserves intégrales sur 3% des surfaces forestières…).
Le concept des forêts, espaces, «en libre évolution», semble figurer comme une clé de voûte dans le domaine. Il n’y a pas de définition stricte, mais une forêt en libre évolution se comprend comme un espace naturel sans activités humaines, qu’elles soient de nature intrusives ou extractives. Celles-ci sont évaluées sur plusieurs grades d’autonomie, de la forêt en libre évolution où la nature est accompagnée, en passant par la «pilotée», et pour finir, la forêt en libre évolution «absolue». Pour l’instant, les forêts en libre évolution se situent en zones montagne. Pour ce qui est de leur cycle naturel de renouvellement, celui-ci est d’environ 500 ans.


Philippe Pointerau, responsable de la mission GT zones de pleine naturalité pour la Commission nationale de l’UNESCO – co-fondateur de Solagro a entrepris de présenter les démarches et dispositifs à ce sujet pour les soutenir.
Le projet vise à défendre «les zones de pleine naturalité» ; bien que très orientées forêt, ces zones du projet concernent aussi des montagnes, dunes, fleuves et estuaires ; des espaces «en libre évolution», dans le but de les faire reconnaître comme «patrimoine naturel vivant» à l’Unesco. En effet, la reconnaissance de par l’institution existe déjà, c’est le cas de la forêt primaire de hêtres des Carpates depuis 2007.
Les avantages d’une telle reconnaissance seraient par exemple : une protection nettement améliorée, une meilleure reconnaissance ainsi que des soutiens dans et par l’espace public, jusque dans la sphère mondiale, favoriser des convergences et créer des synergies de projets de travail dans le domaine…
Philippe Pointreau énumère les bienfaits des forêts en libre évolution : la nature se régulant naturellement toute seule, les bénéfices pour la biodiversité et l’amélioration de la qualité de l’environnement ne sont pas à démontrer : puits de carbone optimaux, filtration de l’eau et de l’air, création d’éco-système naturel, renforcement de la nature, meilleure adaptation et résistance à des situations climatiques extrêmes sur le long terme notamment pour les arbres anciens… Les bénéfices sont aussi économiques de par la complète autonomie regagnée de la forêt dans son développement et son entretien quotidien.
Pour sa biodiversité exceptionnelle, il cite en exemple la réserve naturelle nationale de La Massane, dans les Pyrénées-Orientales, d’une modeste superficie de 336 hectares, mais riche d’environ 10 000 espèces inventoriées en Europe, l’un des records mondiaux. Les scientifiques ont notamment observé sur les vieux hêtres sur place, une capacité de résistance à la sécheresse (cavitation-embolie) remarquable.

En Europe, les forêts primaires et anciennes ne représentent que 3% des terres forestières

Eric Fabre a ensuite présenté l’association Francis Hallé, crée en 2019, qui vise à recréer une forêt primaire en Europe de l’Ouest. Un projet unique, qui brigue 70 000 ha… et de long terme, il faudrait compter plusieurs siècles pour pouvoir observer le résultat souhaité. «Nous avons constaté que les politiques publiques ont jusque là toutes été insuffisantes. En France, 82 % des forêts sont en mauvais état de conservation, et n’absorbent plus le carbone, contrairement aux vieilles forêts en bonne santé. Plus que jamais, leur rôle est donc crucial».
Pour entourer ce projet, la reconnexion avec le public, au centre même de la réflexion du lien avec le vivant, est essentielle. L’association développe la forêt à tous niveaux, du développement de l’agroforesterie au travail sur les forêts comestibles, en passant par l’immatériel, comme au niveau de l’image, réception dans l’imaginaire, jusque dans les jeux vidéos ou dans des kits éducatifs à l’école.

«Du «soft power», essentiel socialement. Notre équipe est complète, nous travaillons autant avec des scientifiques, agronomes, pouvoirs publics, juristes, que des anthropologues et sociologues à l’avancée de ce sujet».

Eric Fabre, association Francis Hallé

Daniel Vallauri, de WWF, présentait le dispositif de financement PSE (paiements pour services écosystémiques) dans les forêts gérées. Ce dispositif se présente comme un moyen de préserver la biodiversité des forêts et offre aux gestionnaires et propriétaires des outils et solutions tangibles. Il n’y a pas de marchandisation de la nature, c’est le service rendu vers elle (d’une pérennité minimale de 20 ans) qui est valorisé. Celui-ci peut être en lien avec le carbone, la biodiversité, les sols, les eaux…
Depuis 2023, le projet Les fonds «Nature impact» a donc vu le jour. Un 2ème appel à projet devrait arriver à partir de mars. «Je ne vous ai présenté que 10% des projets de WWF autour de la forêt. Nous nous intéressons d’ailleurs tout aussi bien à la filière bois», ajoute Daniel Vallauri.
Enfin, les discussions ont tourné autour des points techniques améliorables et des enjeux des différents systèmes proposés ; diverses problématiques ont été évoqués. La répartition des sols en France est forcément un enjeu central. Par exemple, avec l’agrandissement des villes, celles-ci, systématiquement entourées de terres arables, vont grignoter sur ces espaces. Pour compenser, les terres arables vont grignoter sur les surfaces de prairies. Une des solutions pourrait être notamment de se tourner encore davantage vers l’agro-foresterie. La réhabilitation de terrains de friches (anciens terrains agricoles) en terrain de replantation forestier constitue aussi un défi.
A propos des implantations de nouveaux arbres à croissance plus rapides pour piéger du carbone ; la proposition ne fait pas l’unanimité. Au lieu de privilégier la vitesse, la plantation de taillis de feuillus, même plus lents, qui sont de meilleurs puits à carbone, reste la solution la plus pertinente.
Le paysage reste à être dessiné.

Elisa Llop

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