Aveyron | National | Par Jérémy Duprat

Chasser des esprits ce rapport artificiel à la nature

 

Une discussion avec Jean-Pierre Authier, président de la Fédération départementale des chasseurs de l’Aveyron. Les attaques répétitives et de plus en plus nombreuses contre la chasse et l’élevage lui laissent un goût amer.

Des attaques repétées

Jusqu’où le patrimoine et les traditions françaises peuvent être remises en cause ? D’abord, le rejet de l’élevage par les attaques d’associations telles L214. Ensuite, les innombrables conflits de voisinages, dont celui d’un Gersois contraint de se débarrasser de ses oies pour «nuisance sonore». Et puis, enfin, l’interdiction de la tenderie et de la chasse à glu, prononcée par le Conseil d’État, soumis aux directives européennes. La tenderie, permettant la capture des grives par des lacets en crin de cheval, est une pratique qui date du moyen-âge. Peu importe : «le fait qu’il s’agisse d’une méthode «traditionnelle» de chasse ne suffit pas à justifier une dérogation», affirme le Conseil d’État. Seul le droit européen prime.

La tradition n’est finalement pas un bien commun à protéger. «Il existe aujourd’hui un énorme décalage entre le monde rural, dans toutes ses spécificités, et le monde urbain. Nos activités ne sont plus perçus de la même façon qu’elles pouvaient l’être il y a 30 ans. J’ai lu il y a deux semaines, dans un journal, qu’une émission comme celle de Maïté serait aujourd’hui interdite à la télé», se désole Jean-Pierre Authier, président de la Fédération départementale des chasseurs de l’Aveyron. Dans cet article de l’Obs, la sémiologue Virginie Spies l’affirme : «Maïté coupe la tête d’animaux vivants dans son émission… il n’y a pas toutes ces questions de société sur le bien-être animal ou encore le bien-manger… Ça ne pourrait plus passer de nos jours sur le petit écran».

Un coup d’œil sur les réactions choquées de la jeune génération sur les plateformes vidéos, permet de s’en convaincre : voir un animal mourir pour être mangé est une vision devenue insupportable. «La coupure est réelle et entraîne une méconnaissance générale. Les jeunes ne connaissent plus la nature. Et ce, en grande partie, à cause des médias et des nouvelles technologies qui, sciemment, nous coupent de nos racines. C’est un travail de longue haleine. Cela a commencé avec Bambi et Walt Disney par exemple. Et puis avec les émissions animalières qui gomment sciemment le rapport qu’ont les grands prédateurs avec leurs proies», estime le président de la Fédération.

L’affrontement de deux mondes

Un changement de paradigme opéré en profondeur par des intérêts financiers importants. «Ce n’est que mon opinion, mais j’ai le sentiment que nous arrivons à la fin d’un cycle. Que ce soit les chasseurs ou les agriculteurs, le changement de monde, notamment par rapport à l’alimentation, va être douloureux. Les mouvements anti-chasse ou anti-élevage sont pilotés par des gens dont nous savons quels sont leurs intérêts pour la viande de synthèse et les OGM. Il faut être conscient que derrière tous ces mouvements, de gros groupes tirent les ficelles», regrette Jean-Pierre Authier.

Une opinion parmi tant d’autres. Qui est cependant appuyée par des faits. Le journal Libération, tout comme les médias France info ou Valeurs Actuelles, exposent l’origine des fonds de l’association L214. «Le financement en question remonte à novembre 2017. À cette époque, une société américaine connue sous le nom d’Open Philanthropy Project (OPP) a versé 1 347 742 dollars, soit 1 140 000 euros à L214», écrit Libération. L’OPP est une société à responsabilité limitée, bénéficiant d’un régime fiscal avantageux, et fondée, entre autres, par le cofondateur de Facebook Dustin Moskovitz. «Mais ce généreux donateur finance aussi des start-up qui développent des substituts à la viande», précise France info. D’une main, combattre la pratique de la chasse et les abattoirs, et de l’autre, favoriser l’avènement de la viande artificielle. Toute association d’idées ne serait que fortuite.

Un paradoxe moderne : clamer son amour de la nature, tout en espérant que l’homme remplace la viande animale, source de souffrance, par un produit de synthèse créé en laboratoire. «Ce rapport à la nature est complètement falsifié. Ils vendent des images d’Épinal. Si chasseurs et agriculteurs disparaissent, je ne sais pas comment nous mangerons. Et comment nous nous protègerons. Car les chasseurs jouent un rôle important dans la régulation de toutes les espèces. Des études le démontrent», clame le président de la Fédération. Notamment l’étude réalisée par l’étho-anthropotechnologue Manue Piachaud sur le canton sans chasse de Genève, en Suisse. «Un exemple est la somme de régulation des sangliers qui seraient de plus de 2 millions [1,8 millions d’euros, ndlr], l’apport financier de la viande déduit. Ce n’est qu’un aspect des 9 millions [8,4 millions d’euros, ndlr] que coûterait la gestion de la faune chassable dans le Doubs (avec 200 000 hectares boisés et 220 000 hectares cultivés). En prenant tous les frais directs, la gestion des animaux occasionnant des dégâts est aujourd’hui estimée à 120 000 euros», affirme la spécialiste sur le site Chassons.com.

Un lien social traditionnel

S’il est un argument qui est souvent mis en avant par les anti-chasse, c’est bien celui-ci : la faune n’a pas besoin des chasseurs, seulement de prédateurs naturels. «Ces gens, qui prônent le retour des grands prédateurs, seraient les premiers choqués s’ils étaient concernés. Si une meute de loups rodait aux portes de Rodez et dévorait un mouton, une vache ou un chien, le rapport qu’auraient ces gens avec ces animaux va changer radicalement. Parce que pour la proie, c’est également une souffrance atroce. J’en ai souvent discuté avec des responsables agricoles et avec l’INRA, à qui je dis : ce qu’il manque dans les reportages, c’est le son. L’image d’un prédateur n’est pas gênante. Par contre, le son est insoutenable. C’est ce qui manque dans l’éducation d’aujourd’hui», juge Jean-Pierre Authier.

Tout comme la redécouverte du lien social. «Ce qui m’inquiète, au-delà de toutes les considérations évoquées, c’est que la cohésion sociale existe de moins en moins. Nous avons encore un peu de chance à la campagne, notamment grâce à un tissu associatif important. Je vais prêcher pour ma paroisse, mais je vois que la chasse continue à avoir un rôle social prépondérant. Même si c’est malheureux que si peu de facteurs de liens sociaux existent encore, elle reste l’une des dernières associations viables des villages ruraux. Il suffit d’observer l’engouement autour de la cabane de la chasse», défend le président de la Fédération départementale des chasseurs d’Aveyron. Un local qui n’est pas uniquement destiné à la chasse mais aussi aux fêtes de famille ou entre amis. Un élément important dans une société qui vit calfeutrée et masquée depuis plus d’un an. «Combien de villages ont perdu leur bistro ou leur restaurant ?», interroge Jean-Pierre Authier.

L’opposition à la chasse n’est-elle pas focalisée sur un seul point, le bien-être animal, sans appréhender l’ensemble des questions soulevées ? «Je pense sincèrement qu’ils s’en fichent. La régulation des espèces invasives ne les intéresse pas. Le lien social ne les intéresse pas. La vie de village, c’est pareil. D’une part, ils ne vivent pas dans ce monde, pour la plupart. Et d’autre part, en fin de compte, ils interdisent toute activité qui ne correspond pas aux valeurs qu’ils imaginent défendre», dénonce Jean-Pierre Authier.

Pour recréer un dialogue de sourd entre deux mondes fracturés, le président de la Fédération départementale des chasseurs de l’Aveyron invite quiconque le souhaite à découvrir de ses propres yeux la réalité de sa passion. «Venez découvrir la chasse, loin de la vision caricaturale et fausse des réseaux sociaux. La chasse c’est un lien fort avec la nature. Pour quelqu’un qui ne connaît pas la nature, c’est compliqué de chasser. Il faut connaître son milieu, connaître les espèces et comprendre son chien. Je pense honnêtement que si les gens avaient plus souvent cette opportunité d’accompagner des chasseurs, ils acquerraient des connaissances perdues au fil du temps et renoueraient avec la vie de leurs aïeux. La chasse est un vecteur de nos traditions et de notre passé», plaide Jean-Pierre Authier.

Jérémy Duprat




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