National | Par Didier Bouville
Avec Hubert Germain (1920-2021) disparaît le dernier Compagnon de la Libération. Il sera inhumé le 11 novembre au Mont Valérien, conformément à la volonté du Général de Gaulle. Dans cet ordre hétéroclite de 1038 Compagnons, auxquels il convient d’ajouter cinq villes et dix-huit unités combattantes, se trouvaient des ingénieurs, des militaires, des religieux, des tirailleurs, des magistrats, des commerçants etc. Il y avait aussi des paysans, exploitants agricoles et/ou forestiers. D’autres étaient fils de cultivateurs ou d’officiers des eaux et forêts. Tour d’horizon de ces hommes qui ont marqué l’Histoire.
Il est difficile de déterminer avec précision combien de Compagnons de la Libération étaient agriculteurs de profession. Au minimum une vingtaine si l’on en croit les biographies du site de l’Ordre qui reste assez vague et incomplet sur le parcours de ces personnages que l’on peut considérer comme hors du commun, tant leur destin fut aussi héroïque qu’extraordinaire. Beaucoup d’entre eux s’étaient installés dans les colonies d’alors. Ils ont été rattrapés par la guerre ou sont allés au-devant d’elle, refusant l’armistice. C’est le cas d’André Gerberon (1905-1961), exploitant de café et de bois au Cameroun et qui, une fois la guerre terminée, reprend ses activités. C’est également celui d’André Dammann (1901-1951) qui s’établit lui aussi au Cameroun dès 1926 et y introduit, en pays Bamoun, la culture du café Arabica. Rendu à la vie civile, capitaine de réserve, il regagne son pays d’adoption au début de 1946 pour y entreprendre une exploitation forestière. Maurice Jourdan (1902-1972), Parisien de naissance, suit les traces de ses deux Compagnons. Après son baccalauréat, il devient exploitant forestier au Gabon. En juin 1940, il entend l’appel du général de Gaulle, se rallie immédiatement à la France libre, et sert au Régiment de marche du Tchad (RMT). Démobilisé, Maurice Jourdan reprend ses activités d’exploitant forestier à Port-Gentil et devient même ministre de la Santé publique du Gabon !
Polyculture
D’autres Compagnons étaient agriculteurs en territoire métropolitain et leur activité agricole leur permettait de couvrir celles de la Résistance, à l’instar d’Arnaud Bisson (1909-1944) alias Henry, Duprez, Demouy, Correus ou encore Fakir. Organisant des parachutages d’armes et de radios, participant à de multiples opérations de sabotage, aidant les réfractaires du Service de travail obligatoire (STO) il meurt dans un échange de tirs avec un barrage allemand.
Comment ne pas citer Claude Chandon (1894-1944) dont le père est propriétaire des Champagnes Léon Chandon (devenu Moët et Chandon). Mobilisé en 1914-1918, titulaire de la Légion d’Honneur et de la Military Cross, Claude Chandon va diriger dans les années 20 un domaine d’élevage et de polyculture près de Régina en Guyane d’abord puis, dans les années 30, une importante bananeraie près de Cayenne. Mobilisé en 1939, il est ensuite nommé commandant du Bataillon de tirailleurs du Gabon puis adjoint au chef de la Mission militaire de liaison administrative (MMLA). La MMLA facilite les relations entre les autorités militaires alliées et les autorités civiles françaises au fur et à mesure de la libération du territoire. Pris dans une embuscade à proximité de la ferme de Plouguer à Carhaix (Morbihan), il est tué d’une balle dans la tête tirée par l’officier commandant le détachement allemand.
Toutes les campagnes
D’autres choisissent la voix agricole après la guerre, de manière temporaire ou définitive, à l’image de Georges Héritier (1914-1996), agent du Trésor, qui après cinq ans de conflit comme espion au sein du Bureau central de renseignements et d’action (BCRA) et comme capitaine des Forces françaises de l’intérieur (FFI), exerce la profession de forestier et de planteur en Côte d’Ivoire. Démobilisé, Jean-Bernard Ney (1921-2003) après une guerre au sein du Groupe de bombardement Lorraine et après avoir pris part au Débarquement du 6 juin 1944, devient fermier, spécialisé dans l’élevage de porcs, au Congo belge. En 1958, de retour en France, il s’installe comme agriculteur en Dordogne. Hippolyte Piozin (1913-1994) suit la même voie. Ce Saint-Cyrien qui quitte l’armée en 1946 pour rejoindre l’administration coloniale, s’établit dans le Médoc comme exploitant agricole, au début des années 1960. Destin presque identique pour Marie-Roger Tassin (1900-1953) qui a fait après s’être engagé et avoir été blessé lors de la campagne de Syrie-Cilicie (1920) est réformé et crée sa plantation de caféiers au Congo Belge. Faisant annuler sa réforme, il sert dans les troupes coloniales, participe aux campagnes d’Italie où il est grièvement blessé. Considéré comme inapte au combat, il s’enfuit de l’hôpital et parvient à rejoindre son unité. Avec elle, il participe aux campagnes de Provence et d’Alsace. Démobilisé en août 1945, il retourne au Congo et regagne sa plantation. Maurice Faure (1906-1999) qui effectue une grande partie de sa carrière au sein de l’administration coloniale sert au Bataillon de marche de l’Oubangui-Chari. Blessé trois fois, il quitte la guerre avec le grade de capitaine et devient Secrétaire général du Niger De 1951 à 1960, il est exploitant agricole près d’Amboise, avant d’entamer une carrière dans le secteur bancaire. Tout aussi remarquable est le parcours de Maurice Bonté (1904-1958) qui était ouvrier agricole avant la guerre. Il s’engage dans la Légion étrangère, participe aux combats de Narvik (mai 1940) et avec la 13e Demi-brigade de la Légion étrangère, est de toutes les campagnes : Dakar, Érythrée, Syrie, Libye (Bir-Hakeim), Égypte, Tunisie, Italie et France. Après-guerre, il retrouve son activité d’ouvrier agricole. D’autres agriculteurs finissent par faire définitivement le choix des armes, une fois la guerre terminée, à l’image de René Briot (1913-1991).
Plus jeune Compagnon
Les fils d’agriculteurs qui ont été décorés de la Croix de la Libération, la deuxième plus haute distinction après la Légion d’honneur, sont plus nombreux que les paysans, cultivateurs, exploitants ou propriétaires terriens : environ une cinquantaine selon les fiches conservées à l’ordre de la Libération.
Les mentions sont parfois cocasses comme celle dont est affublé Raoul Béon, « fils d’un gros éleveur du Gers ». Tous ne suivent pas les traces familiales et entament divers parcours : administration coloniale, carrière militaire, administration publique, journalisme, etc. et parfois des activités en marge de l’agriculture comme Antoine Masurel (1912-1990) né dans une famille de négociants en laines qui après-guerre (il a été condamné à mort par Vichy) reprend l’activité familiale. La guerre les accapare. Beaucoup perdent la vie au cours des combats. Parmi les destins héroïques et tragiques, il faut citer le cas de Mathurin Henrio (1929-1944) né à Tallen-Crann en Baud dans le Morbihan. Fils de cultivateurs, il est le plus jeune Compagnon de la Libération. Il meurt lâchement assassiné en février 1944 alors qu’il aidait les maquisards à charger leur armement dans la ferme de Poulmein, tenue par Émile Le Labourer qui perd aussi la vie. Mathurin Henrio est tué d’une balle dans le dos par les Allemands qui lui donnent ensuite le coup de grâce. Il allait avoir 15 ans.
Ces vaillants agriculteurs et fils d’agriculteurs dont l’héroïsme a été reconnu sont représentatifs d’une époque et d’une idée qui survit encore aujourd’hui à travers l’Ordre de la Libération. La distinction qui leur a été accordée symbolise et concentre les valeurs que l’agriculture représente et véhicule le mieux : la résistance, la résilience, l’abnégation, la solidarité… A travers leurs campagnes, tant au sens militaire qu’agricole, ils ont mérité comme bien d’autres, la mention inscrite au revers de leur décoration « Patriam Servando, Victoriam Tulit » : « En servant la Patrie, il a remporté la victoire ».
La rédaction