National | Par Didier Bouville
La sécheresse hivernale qui sévit en France inquiète les autorités publiques mais aussi les agriculteurs qui voient les bases mêmes de leur métier remises en cause. Ainsi que l’ont répété les intervenants du colloque « La guerre de l’eau a-t-elle démarré ? » qui s’est récemment tenu, l’eau est un bien précieux qu’il faut préserver et partager.
Au fil des ans, l’eau est devenue un sujet de controverses, de polémique et « un sujet très politique », a affirmé Jean-Luc Poulain, président du Salon de l’agriculture. Au point qu’il est « indispensable de retrouver de la souveraineté sur l’eau », plaide le ministre de l’Agriculture, Marc Fesneau qui prend la défense du maïs érigé en « victime expiatoire » des usages et du partage de l’eau. S’il concède qu’il va falloir « repenser nos pratiques et nos modèles » d’agriculture, le ministre n’entend pas transiger : « la priorité est que l’agriculture accède à l’eau ». Poussant la réflexion plus loin, il insiste sur la nécessité de développer la recherche variétale qui a permis à la France de réduire de 30 % sa consommation en eau pour faire pousser la même quantité de maïs. S’en prenant indirectement aux contempteurs de l’agriculture, il leur fait passer le message suivant : « Quand un agriculteur prélève de l’eau, il ne le fait pas à des fins personnelles ou privées. Il le fait pour une cause d’intérêt général : nourrir la population (…) Non, il n’y a pas de privatisation de l’usage agricole de l’eau en France », appuie-t-il.
Frein psychologique
Ce qui pose naturellement problème aux yeux des associations environnementales, c’est l’irrigation, considérée par elles comme un gouffre aquatique. Or seules 6 à 7 % des surfaces cultivées en France sont irriguées. « L’agriculture française reste très majoritairement pluviale », souligne Éric Frétillère, président des irrigants de France. Et si Laurent Leroy, directeur de l’agence de l’eau Rhône-Méditerranée-Corse (AERMC) rappelle que l’agriculture rend moins d’eau à la nature que les autres secteurs d’activité et qu’elle prélève les mois les plus secs, Éric Frétillère lui fait remarquer tous les efforts réalisés, au quotidien, par les agriculteurs pour économiser l’eau. Le directeur de AERMC avoue que sur les 340 millions de m3 (Mm3) d’eau économisés ces dernières années, plus de la moitié (200 Mm3) viennent de l’agriculture. Tous deux convergent aussi sur le fait que le temps de l’agriculture n’est ni celui du politique, ni celui de la recherche et encore moins celui du citoyen et du consommateur. D’autres sources d’économie et de développement sont à chercher dans la réutilisation des eaux de traitement (REUT), dans laquelle Éric Frétillère et Laurent Leroy voient de réelles potentialités bien que celle-ci constitue encore un frein psychologique.
Hypocrisie
Sur le sujet du stockage et du partage de l’eau, Alexis Guilpart, de France nature environnement (FNE *), estime que les retenues devraient être le « dernier recours » car il y a « déjà beaucoup de stockages d’eau en France » et que la France irrigue plus qu’elle ne le faisait. « Attention à ne pas importer d’irrigation de l’étranger », lui rétorque André Bernard, et vice-président de la Chambre d’agriculture du Vaucluse. Il fait ainsi écho aux propos du ministre qui, quelques minutes plutôt, avait appelé à « mettre fin à une certaine hypocrisie. Car l’eau qu’on ne prélève pas en France est prélevée ailleurs (…) On importera alors de la sécheresse et de l’irrigation ». André Bernard concède volontiers que le « stockage est un morceau de la solution ». Il essaie de faire comprendre à Alexis Guilpart la « nécessité de sécuriser les productions agricoles françaises et de répondre aux marchés ». A ce titre, les Projets territoriaux de gestion des ressources en eau (PTGE) semblent recueillir l’assentiment général pour « élaborer des diagnostics territoriaux ». C’est en effet l’une des demandes de nombreux acteurs de l’eau : gérer cette ressource au plan local, tant sur le plan qualitatif que quantitatif. En résumé l’eau est indispensable : « Oui pour un usage partagé et raisonné de l’eau » comme l’a rappelé Arnaud Rousseau, premier vice-président de la FNSEA. Pour Thierry Jacquet, directeur scientifique environnement de l’Inrae, « il faut sécuriser la production agricole et donc la ressource en eaux mais aussi la qualité des eaux. Ce qui passe par un équilibre entre sciences, nature et économie. »
(*) FNE n’a pas sciemment participé au Varenne de l’eau estimant que les trois thèmes étaient traités en silo (ce qui est faux).
Christophe Soulard