National | Par Didier Bouville

La décapitalisation de l’élevage inquiète l’industrie de la viande

Les entreprises d’abattage et de transformation s’interrogent sur les conséquences de la baisse des cheptels porcins et bovins sur leur activité. Amont et aval de la filière sont aujourd’hui embarqués sur le même bateau, ont estimé les responsables syndicaux comme observateurs extérieurs.

C’est un cri d’alarme qu’ont lancé le 5 septembre les industriels français de la viande, lors de leur congrès annuel à Paris. La décapitalisation des cheptels bovins et porcins constitue une menace directe pour les usines d’abattage et de transformation, ont en effet estimé les adhérents de Culture Viande, le syndicat des entreprises du secteur. « La baisse des cheptels s’est poursuivie cette année et l’on ne voit pas quel frein l’on pourrait activer pour ralentir le mouvement », a insisté en clôture le président de Culture Viande, Gilles Gauthier. Le dirigeant, qui quittera la tête de la fédération à la fin du mois, a appelé « l’ensemble des maillons des filières » à « faire bloc », notamment derrière leurs interprofessions, « pour juguler cette spirale » et endiguer des « importations qui se déversent à vau l’eau ».

Les intervenants avaient précédemment dressé un tableau sombre de la situation de l’élevage français. « En 2022, le cheptel porcin s’est réduit de 500 000 truies en Europe, une réduction jamais vue », a indiqué Elisa Husson, ingénieure d’études économiques à l’Institut du porc (Ifip). Le phénomène, qui a affecté la France, mais aussi l’Allemagne ou le Danemark, se poursuit et se répercute sur les abattages, avec 9 millions de porcs abattus de moins en cinq mois cette année. « La plupart des pays producteurs rencontrent des problèmes de rentabilité que la pression sanitaire ou les nouvelles contraintes réglementaires ne vont pas arranger », a-telle estimé. Selon l’économiste, « la restructuration du secteur paraît inévitable », en amont comme en aval.

Côté bovin, le panorama n’est guère plus reluisant. La décapitalisation du secteur bovin s’est poursuivie entre juin 2022 et juin 2023, avec une nouvelle baisse des effectifs de 2,5 %, « sans que l’on ne perçoive d’inflexion », a indiqué Baptiste Buczinski, du service Economie des filières de l’Institut de l’élevage (Idele). Un nouveau repli qui intervient après la perte de 837 000 têtes entre 2016 et 2022, dont près de 500 000 vaches allaitantes. L’expert a relevé que la baisse était récemment « moins liée à de la réforme qu’à un moindre renouvellement de cheptels en génisses », témoignant de la défiance ambiante. Comme en viande porcine, le retrait de la production nationale laisse une place plus grande à l’importation, dont la part dans la consommation est passée de 22 % avant la crise sanitaire à 25 % aujourd’hui.

Une baisse vertigineuse des dépenses

La viande française fait semble-t-il également les frais des arbitrages des Français en matière d’achats alimentaires. « On n’a jamais vu une baisse aussi vertigineuse des dépenses pour l’alimentation à domicile que cette année », a assuré Pascale Hébel, la directrice de la prospective de l’agence de conseil C-Ways. Si les viandes de boucherie sont relativement épargnées (-3,2 % au premier semestre 2023), les produits élaborés de viande le sont déjà un peu plus (-4,7 %). « Le phénomène nouveau auquel on assiste, c’est la proportion de personnes indiquant ne pas pouvoir manger de la viande, de la volaille ou du poisson par manque de moyens financiers. 18 % disent devoir s’en priver « souvent » faute d’argent ».

Pour arrêter l’hémorragie des cheptels dans les années qui viennent, « il faut donner aux nouveaux arrivants des garanties pour qu’ils puissent investir et s’inscrire dans le métier dans la durée », a plaidé Emmanuel Bernard, président de la section Bovine d’Interbev. La contractualisation, prévue par la loi Egalim et qui fait figure d’outil pour conforter l’engagement des producteurs, avance à petits pas dans le secteur, a reconnu l’éleveur nivernais. « Cela progresse, même si nous partons de loin », a-t-il assuré. Environ 30 % des jeunes bovins feraient l’objet d’une contractualisation, dont 46 % des JB d’origine laitière et 14 % en race à viande. « Si c’est intéressant pour sécuriser l’engraissement, il faut désormais pousser la contractualisation sur les vaches, car c’est sur ce segment que se joue la consommation française », a insisté Emmanuel Bernard. Quant au redéploiement de l’engraissement en France, le responsable syndical estime qu’il existe une marge de manœuvre « sur les 250 000 femelles aujourd’hui expédiées vers l’Italie, mais beaucoup moins sur les mâles ». « L’élevage, c’est le nerf de la guerre », a reconnu en conclusion Jean-Paul Bigard, le pdg du groupe éponyme et n°1 de la viande en France.

« Des intérêts offensifs en commun »

Invité à ouvrir les débats du congrès de Culture Viande, Arnaud Rousseau a rendu hommage aux entrepreneurs du secteur de la viande « qui prennent des risques » et « dont le monde agricole a besoin ». « Nous devons sortir collectivement de notre citadelle assiégée et prendre des positions offensives et pas seulement défensives », a plaidé le président de la FNSEA, « sauf à considérer que ce seront des Brésiliens ou des Argentins qui viendront alimenter nos marchés demain ». Alors que les débats du congrès portaient sur la souveraineté alimentaire, Arnaud Rousseau a interpellé les pouvoirs publics français en relevant « qu’on ne pouvait pas d’un côté affirmer qu’on a la volonté de l’assurer » et « regarder de l’autre les chiffres de l’importation grimper sans réagir ». A propos de la nouvelle proposition de décret proposant d’interdire d’utiliser des dénominations « évoquant des denrées d’origine animale » pour des produits végétaux, le président du syndicat agricole majoritaire a plaidé pour la transparence et l’équité avec les produits importés. « Il n’y aura pas d’opposition à la FNSEA entre la protéine animale et végétale mais la volonté de maintenir leur complémentarité car c’est l’intérêt des consommateurs et de notre santé. »

La rédaction

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