National | Par Didier Bouville
Alors que le les principales organisations agricoles ont claqué, début juillet, la porte du groupe national loup, ce dernier poursuit son développement un peu partout en France. Récemment apparu dans le département du Nord, il est très actif dans les zones de montagne où il a été réintroduit au début des années 1990. Deux jeunes éleveurs, victimes du prédateur, nous ont livré leur témoignage.
Âgé de 30 ans, Joris Payan est installé depuis janvier 2016 en ovins viande en label rouge, avec 470 mères sur environ 100 ha. Son exploitation est autosuffisante en fourrages : avec 8 ha d’orge, 5 ha d’avoine, 40 ha de parcours herbagers et 45 ha de fauche. Ses brebis vont en alpage du 15 juin au 15 septembre. A peine était-il redescendu que le 30 octobre 2022, qu’une meute de loups attaque son troupeau, à quelques encablures de l’exploitation : sur 10 brebis au tapis « 3 ont été complètement mangées et 7 ont été égorgées », indique-t-il. Le troupeau s’est retrouvé totalement éparpillé. « Il était éclaté dans tous les sens et dans un très large rayon ». Aidé par des voisins et de son chien de protection, un berger des Abruzzes, ils sont allés à la recherche des brebis égarées : « Cette escapade nous pris beaucoup de temps. C’est très stressant aussi bien pour les hommes que pour les bêtes. Notre chien lui-même est revenu épuisé. Comme nous », témoigne-t-il. Cependant tous les ovins perdus n’ont pas été récupérés, « ce qui signifie que, contrairement aux bêtes mortes, celles-ci n’ont pas été indemnisées ».
«Ça devient compliqué»
Son collègue, Rémi Marseille, lui aussi âgé de 30 ans, s’est installé en 2013 en ovins (350 brebis) et bovins (60 vaches de race Abondance). Lui aussi a vu ses troupeaux être attaqués plusieurs fois par des loups. « La première fois, c’était en 2016. Depuis, j’en suis arrivé à une bonne douzaine ». Rien qu’en 2022, il a subi une attaque en alpages et trois en fond de vallée. « La dernière au pied de ma chambre, à quelques mètres du toboggan de mes enfants. Je suis loin d’être le seul dans ce cas ». Celui-ci qui est aussi président de son CDJA cantonal s’inquiète de ces attaques à répétition et du peu de moyens dont les agriculteurs disposent pour se protéger.
« Les règles de tirs sont aujourd’hui inadaptées. On doit attendre d’avoir subi plusieurs attaques pour que les lieutenants de louveterie puissent intervenir. Eux-mêmes ne disposent pas toujours du matériel nécessaire. Ça devient compliqué », complète Joris Payan.
Surtout, avec « les brebis, les agneaux et les béliers, le loup trouve une nourriture, un garde-manger plus accessible que le chevreuil, le cerf ou le chamois. En plus, le troupeau est grand et rassemblé. Il va au plus facile », remarque Rémi Marseille qui ne sous-estime pas l’intelligence, ni la faculté d’adaptation de ce prédateur très rusé. « Les louves apprennent à leurs juvéniles à attaquer les troupeaux. Ca fait beaucoup de dégâts ». Ce que confirme Joris Payan : « Les chiens restent efficaces mais le loup sait très bien s’adapter au chien. Il sait aussi le contourner, notamment en s’attaquant aux bergeries pendant l’été ». D’ailleurs, certaines d’entre elles ont subi des pertes, « simplement parce que la porte de la bergerie était ouverte », souligne-t-il. Même s’il préconise de mettre des barrières de 2,5 mètres de haut pour dissuader les loups d’attaquer, « Le problème, c’est qu’on ne sait jamais à quelle date le loup va revenir », remarqué Rémi Marseille. « On sait qu’on aura droit à au moins une attaque sur les alpages tous les ans. Le plus inquiétant est qu’il se rapproche des habitations », ajoute-t-il en connaissance de cause.
Divorce consommé
En termes de solutions, tous les deux préconisent « le tir de défense à l’amorce de la première attaque sur un troupeau ». « Il nous faut des optiques de visée nocturne pour bien voir notre environnement et ne pas faire de dégâts collatéraux », insiste Rémi Marseille, qui prône l’utilisation d’un réducteur de son : « ce serait encore plus efficace (…) Qu’on nous donne réellement les moyens de nous défendre. Car aujourd’hui on nous donne les autorisations mais sans les moyens ». De même souhaitent-ils que l’État donne des moyens aux louvetiers. « Ils sont bénévoles, n’ont pas de droits, peu de moyens ; ils sont bridés par la réglementation. Grâce à l’action des JA du département, nous avons pu faire augmenter le nombre de louvetiers. Ils sont maintenant 26 et ont plus de manœuvre pour se déplacer », explique Rémi Marseille, qui souhaite que l’État leur donne un véritable statut et des moyens de protection renforcés. Cependant, quelle que soit la solution retenue, le divorce semble, sur le terrain, bel et bien consommé entre le loup et les éleveurs : « La cohabitation n’est pas possible entre le loup et le pastoralisme. Même les agents de l’Office français de la biodiversité commencent à s’inquiéter de la présence de ce prédateur dans les montagnes », constatent les deux éleveurs.
Christophe Soulard