National | Par Didier Bouville
Sur l’initiative de la Fédération nationale ovine (FNO) et du CAF Loup, Fabienne Buccio, préfète de la région Auvergne-Rhône-Alpes et coordinatrice du Plan loup, s’est rendue le 21 juillet, à la rencontre des éleveurs à La Mure-sur-Argens et Saint-André- les-Alpes (Alpes-de-Haute-Provence). Claude Font revient sur cette rencontre à laquelle la FNO a participé et livre son sentiment sur les demandes de la profession pour lutter contre la prédation lupine.
Quels enseignements retirez-vous de cette rencontre entre la préfète coordinatrice et les éleveurs ?
Claude Font : Il nous est apparu nécessaire de provoquer cette rencontre entre la préfète coordinatrice et les éleveurs pour qu’elle puisse mesurer précisément ce que ressentent les éleveurs quand leurs troupeaux sont attaqués par les loups. Même si Mme Buccio peut s’appuyer sur l’expertise d’un préfet référent loup (Jean-Paul Celet, ndlr), prendre la température du terrain n’est jamais inutile. Cette rencontre était aussi l’occasion de renouer le dialogue après le départ des représentants agricoles du Groupe national loup (GNL) début juillet, à la parution des chiffres sur la population lupine en France. Mme Buccio avait proposé une rencontre fin août. Ce qui était trop tard pour nous. Elle s’est finalement décidée à s’impliquer dans ce dossier qui demande maintenant des arbitrages politiques car tout le travail technique a été réalisé au sein du GNL.
Pourquoi avoir choisi le département des Alpes-de-Haute-Provence ?
C.F. : Parce que c’est le département qui subit chaque année le plus d’attaques en France. Il était important que Mme Buccio rencontre les éleveurs dans leur milieu. C’est pourquoi, une visite en alpages a été organisée le matin, avec Jean-Paul Celet, les représentants de la DRAF, de la DREAL et de l’OFB départementale. Comme le dit souvent la présidente de la FNO, Michèle Boudoin, elle a pu « vivre la vraie vie » des éleveurs le temps d’une matinée, avec les brebis, les chiens de protection, les touristes qui passent… En somme, voir toutes les contraintes d’un élevage en alpages. L’après-midi a été consacré à une rencontre avec les représentants des organisations professionnelles agricoles, les représentants du CAF loup avec la volonté de dégager une stratégie pour sortir, par le haut, de ce dossier très épineux.
A ce propos, comment se présente le prochain Plan national d’action loup (PNA) pour la période 2024-2028 ? Avez-vous pu déterminer des priorités dans la liste d’actions que vous avez présentées à Chorges (Hautes-Alpes), début juin lors des premières Assises de la prédation ?
C.F. : Il nous paraît indispensable d’améliorer le protocole des tirs. C’est une demande forte de la profession et nous tenons à ce que cette mesure soit inscrite dans le futur PNA, pour des raisons d’efficacité et de rapidité. Aujourd’hui, il faut attendre trois attaques de loup avant de pouvoir riposter par un tir de défense renforcé qui est plus efficace. Ce n’est plus tenable devant l’augmentation du nombre d’attaques. Il faut donner aux éleveurs et bergers les moyens de riposter, avec des moyens adaptés et avec le soutien des louvetiers. Ces derniers ont réalisé, en 2022, 72 % des prélèvements. Leur statut doit évoluer, ils doivent être mieux pris en charge par l’État, sur le plan de la formation et de l’indemnisation. Comme pour les éleveurs, ces problèmes sont abordés au sein du GNL. D’une manière globale, le PNA doit faire l’objet d’arbitrages politiques. Son sort est en partie entre les mains du Gouvernement. Une réunion du GNL est programmée le 4 septembre prochain. J’espère que les arbitrages sur le PNA auront été rendu avant. Sinon, je ne vois pas l’intérêt d’y aller.
Concernant le comptage, avez-vous pu faire quelques avancées ?
C.F. : Malheureusement aucune. Même la préfète, Fabienne Buccio, a pris conscience qu’il existe un réel problème sur ce dossier, notamment que l’année 2022 a constaté 1000 relevés d’indices de moins qu’en 2021. Notre intérêt à nous, éleveurs, est de remonter le plus d’indices possibles. Celui des associations de protection de l’environnement et de la biodiversité est naturellement inverse. C’est pourquoi, il faut renforcer les moyens financiers et humaines pour parvenir à un comptage plus conforme à la réalité. Des conseils départementaux ont alloué des moyens sur ce comptage. Je pense en particulier aux 250 000 euros donnés par le Conseil départemental de la Haute-Savoie. Cette somme a permis de compter deux fois plus de loups que n’en avait compté l’OFB… Naturellement, ça change tout, surtout quand il faut réguler la population lupine.
La profession réclame 500 loups. Pas un de plus. Pour vous, ce chiffre est-il un plafond ou un plancher ?
C.F. : Pour être franc, la question n’a pas été réellement tranchée par le GNL. Si je m’en tiens aux recommandations du Muséum d’histoire naturelle (MNH), celui-ci estime que le seul de viabilité de l’espèce commence à 500 individus. Syndicalement, ce chiffre me semble correct. Nous ne voulons pas chasser le loup. Nous voulons simplement le réguler, faire baisser sa prédation pour que nos éleveurs puissent vivre avec plus de sérénité.
Le remaniement du 20 juillet a placé une autre secrétaire d’État à la Biodiversité, Sarah El Haïry, à la place de Bérangère Couillard qui était votre interlocutrice depuis quelques mois ? Une remarque pour qualifier ce changement ?
C.F. : A vrai dire, je ne connais pas Mme Sarah El Haïry que nous apprendrons à découvrir lors d’un prochain rendez-vous, je l’espère assez rapidement. Nous avons effectué une demande pour la rencontrer. Il ne vous a pas échappé que ce remaniement a été précédé d’une valse des préfets. Dans les deux cas, l’impression que nous avons, syndicalistes agricoles, est toujours la même : la nécessité de devoir refaire tout le travail et parfois de devoir repartir de zéro. On ne gagne pas de temps comme ça… D’autant que le loup étend son territoire. Pas moins de 53 départements français sont déclarés prédatés. 60 sont sous mesures de protection. Il est important que les autorités politiques prennent conscience que le loup colonise la France et que son expansion peut avoir de graves conséquences sur l’élevage dans son ensemble, dans sa dimension économique, certes mais aussi avec la perte d’un précieux patrimoine génétique que les éleveurs ont mis des dizaines d’années à construire. La réponse à apporter doit être à la hauteur des enjeux.
Propos recueillis par Christophe Soulard