Aveyron | Par Jérémy Duprat

Entre agriculteurs et sangliers, il faut trancher

La grogne monte, silencieusement, depuis des années. Aujourd’hui, quelques producteurs de maïs sortent du mutisme. Les sangliers sont devenus incontrôlables.

Arrêter le maïs

De la bouche de la plupart des producteurs de maïs, l’année est particulièrement bonne. Cependant, un nuage sombre et menaçant se profile à l’horizon. D’année en année, il se révèle de plus en plus imposant. Et vient, aujourd’hui, saccager les champs de maïs aveyronnais. Notamment autour de Camjac. Non, ce n’est pas le réchauffement climatique, mais le sanglier. «Cette année, j’ai acheté le maïs à un ami pour 9000 euros. Je ne l’ai pas semé parce que c’est trop compliqué. Les sangliers sont devenus plus qu’un fléau. Nous avons dépassé le stade où la situation était encore gérable, selon moi. Heureusement que je suis proche de la retraite. Qu’est-ce que je fais l’an prochain ? Voilà ma réflexion. Est-ce que j’arrête le maïs ?», se désole Bernard Imbert.

Ce grand gaillard, au milieu des tiges de maïs couchées au sol, des feuilles brunies dépérissant sur une terre trouée comme du gruyère, ne supporte plus l’invasion de ces cochons sauvages. «Je n’ai même plus envie d’aller voir mes champs, cela va m’énerver», lâche l’agriculteur. En cette fin de matinée, le soleil illuminant le ciel contraste avec un Bernard Imbert maussade. Il vient de remplir sa feuille de déclaration de dégâts. «Auparavant, je ne voulais pas faire ces déclarations. Je ne comprenais pas que les chasseurs paient pour les dégâts. Mais maintenant, après plusieurs années de saccages, je me dis qu’il n’y a plus le choix. Là, ils ont fait des tirs de nuit et trouvent 15 à 20 sangliers dans les champs. Et ils ne tirent pas sur les femelles. Cela n’a pas vraiment d’intérêt si les sangliers se reproduisent plus vite que notre capacité à les chasser. J’ai plus que peur pour les années à venir. Il va falloir choisir entre les agriculteurs et les sangliers», s’inquiète Bernard Imbert.

Autour de lui, le constat est largement partagé. «Même sur des champs de colza à côté», livre le producteur laitier. Sur sa déclaration de dégâts, il indique la surface qu’il estime touchée. Ainsi que le montant de l’indemnisation qu’il demande. «Je le fais, en étant quasiment persuadé, que l’expert va me dire qu’il n’y a pas assez de dégâts pour que je sois payé. J’avais déjà fait une déclaration il y a plusieurs années. L’expert m’avait signifié que les dégâts étaient insuffisants. Et puis si c’est pour toucher 100 euros, je m’en fiche. Mais, j’en fais un devoir de remplir ce papier et de le porter à la Fédération de chasse. Alors que je ne suis pas une personne qui se plaint ou qui parle pour rien», défend Bernard Imbert.

Une hantise

À quelques kilomètres de là, un voisin est solidaire des propos de Bernard Imbert. «La question va réellement se poser : les sangliers ou les agriculteurs ? Aujourd’hui, un jeune installé qui met toutes les chances de son côté pour s’en sortir et boucler les fins de mois, est mis en péril par ces saccages incessants et aléatoires. Et puis, aux difficultés matérielles, s’ajoutent les préoccupations psychologiques. Ma hantise c’est de savoir si mes semis y sont passés ou non. En une nuit, la parcelle est ravagée. Il est de plus en plus impossible de prévoir l’assolement», se désole cet agriculteur qui souhaite témoigner anonymement.

Pour les deux hommes, il faut revoir certaines règles qui se mettent en travers de réels progrès. Notamment, classer le sanglier parmi les nuisibles.Car pour se protéger de ces bêtes malines, Bernard Imbert a tout tenté. «J’ai clôturé une parcelle dans sa totalité avec deux fils barbelés tout le long. Cela ne les a pas arrêté. Les sangliers s’en fichent. Et moi, monter des clôtures me coûte en temps et en argent. Je ne peux pas électrifier non plus, ce n’est pas possible, il faudrait en plus relier au courant à plusieurs kilomètres. Quelles sont les solutions ? Je ne peux pas rester planter dans mes parcelles matin, midi et soir. Et puis je n’ai pas de fusil, ce n’est pas mon truc», ironise Bernard Imbert.

Une ampleur inédite

Son alter-ego, lui aussi, ne perçoit pas les indemnisations comme une solution pérenne. «Que nos dégâts soient remboursés, c’est très bien. Mais à quel montant ? Et puis avec moins de 10% de pertes, je ne gagnerai rien à déclarer. Il y a 15 ans, les trous des sangliers se comptaient sur les doigts d’une main. Aujourd’hui, je ne les compte plus. Avec mon frère, nous essayons de clôturer. Sans succès. Peut-être n’employons nous pas les bonnes méthodes. Ce qui est sûr, c’est que cela coûte du temps et de l’argent. Beaucoup de temps pour les entretenir puisque les sangliers passent quand même. J’estime les préjudices à 5000 euros à l’année», peste un voisin. Comme le font remarquer ces agriculteurs excédés, les dégâts sur une parcelle labourée et cultivée sont une chose. Sur une prairie naturelle en pente, c’en est une autre. «Généralement, dans ce cas de figure, j’attend deux ans avant de semer à nouveau», constate cet agriculteur de Camjac.

Une situation intenable pour les deux hommes. Pour autant, ils ne rejettent pas la faute sur les chasseurs. «Je pense qu’ils sont trop peu pour l’ampleur de la tâche à réaliser. S’il n’y avait qu’une dizaine de sangliers, je n’aurais pas de problème. La réalité, c’est qu’ils sont dix fois plus nombreux, au moins. C’est une espèce qui se reproduit de façon exponentielle, intelligente et difficile à chasser. Le problème est à faire remonter au niveau régional», estime le voisin de Bernard Imbert. Une position partagée par ce dernier. «Je suis d’accord pour tout essayer. Nos chasseurs font du très bon boulot. Mais peut-être qu’ils ne devraient pas être seuls à devoir gérer les sangliers».

Mise à jour :

Quelques jours après le passage de l’expert sur le champ de Bernard Imbert, suite à sa déclaration de dégât, l’éleveur est dépité. «Sur les 0,5 hectares que j’ai déclaré, il n’en a compté que 0,05. Parce que selon lui, ce ne sont pas les sangliers mais le vent, puisque certains épis ne sont pas mangés, ou une maladie. Peut-être bien, il doit connaître des choses que je ne saisis pas. Moi j’arrête là avec ces démarches », se navre Bernard Imbert.

Jérémy Duprat

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