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Nouvelles normes Agriculture Biologique Discussion entre agriculteurs et députés

10 juin 2021

Nouvelles normes Agriculture Biologique Discussion entre agriculteurs et députés

Les députés aveyronnais échangent avec les agriculteurs jeudi 3 juin au GAEC des Belles Vaches.

De nouvelles normes bio qui inquiètent les agriculteurs. Jeudi 3 juin, la FDSEA, les JA et la Chambre d’agriculture ont rencontré les députés de l’Aveyron. Au centre de la rencontre : des mesures du nouveau cahier des charges de l’Agriculture biologique (AB) jugées «déconnectées». Ce nouveau règlement entrera en vigueur au 1er janvier puisque déjà voté par l’Union européenne en 2018. C’est donc à l’Institut national de l’origine et de la qualité (INAO) de rédiger un guide de lecture sur l’application des règles.

Le président de la FDSEA Laurent Saint-Affre, le membre de la mission AB de la Chambre d’agriculture David Argentier et le 1er adjoint de la commune de Saint-André-de-Najac Nicolas Bosc, étaient présents au GAEC des Belles Vaches, lieu de la rencontre. Éleveurs de métier avant tout, ils ont détaillé aux députés les raisons de leurs doutes concernant les nouvelles mesures AB. «Les députés nous ont écoutés, ont compris nos demandes. Maintenant, le chantier est ouvert», avance Laurent Saint-Affre, évoquant des mesures manquant de clarté à 6 mois de leur application.


Au cœur des préoccupations, la mesure qui prévoit par exemple qu’un veau batifole en extérieur dès sa naissance dès que les conditions climatiques le permettent. «Si on met des veaux de 6 mois dehors entre octobre et avril, ce que préconise le cahier des charges, cela peut avoir des conséquences très néfastes sur leur bien-être comme des maladies. Ce n’est pas du tout pragmatique, pas du tout concret», estime Laurent Saint-Affre.


Le même raisonnement est appliqué pour l’engraissement des bovins en bâtiment, interdit en fin de période de pâture. «Mettre les bêtes en extérieur l’été quand il fait 35 degrés, ce n’est pas concevable. Ces mesures ne répondent à aucun besoin de bien-être des animaux. Ce n’est pas leur rendre service. Et il faut aussi ajouter que plus les conditions sont régulières et stables pour les animaux, plus la qualité de la viande n’en sera que meilleure. Et le consommateur n’en sera que plus satisfait. C’est cela que nous défendons», insiste le président de la FDSEA.


Troisième point clef des critiques envers les mesures, la base de données des animaux reproducteurs AB. Celle-ci est obligatoire pour tout éleveur souhaitant acheter un animal référencé bio. «Ce choix exclut, dans la filière ovine, les centres conventionnels qui garantissent des normes sanitaires et génétiques des animaux. Chose que ne prévoit pas la base de données bio. Ce que nous souhaitons c’est que ces critères-là soient inclus dans la nouvelle réglementation, nous permettant l’accès à des animaux sains et dont la production sera convenable», explique David Argentier.


Une autre mesure floue et impraticable selon les premiers concernés serait l’accès à des zones d’exercices extérieures attenantes au bâtiment. Il est parfois impossible et extrêmement onéreux de modifier les bâtiments afin que de telles aires soient accessibles. «Prendre en compte les périodes de pâturages et reconnaître les aires paillées des mères comme aire d’exercice extérieure serait une solution», propose Laurent Saint-Affre.


Les conversions AB en stagnation


Pour les trois hommes, se pose également la question de la rémunération. Interrogation parallèle aux normes AB mais tout de même étroitement liée, la loi EGAlim ne serait pas appliquée, forçant de nombreux éleveurs à vendre à perte. «On fait passer l’offre avant la demande. Il faut garder un équilibre pour garantir un revenu rémunérateur pour l’éleveur mais aussi un prix correct pour l’acheteur. Entre le moment où je m’engage en bio et le moment où je vends effectivement du lait bio, 2 à 3 ans passent. Cela crée des inerties. L’agriculture s’inscrit par nature dans un temps long alors que le marché, lui, est beaucoup plus réactif. Il faut bien faire attention à protéger cet équilibre», prévient Nicolas Bosc, converti en lait AB depuis 2017. C’est à partir de 2019 que l’éleveur a pu effectivement vendre bio.


En 2019, 10% des fermes aveyronnaises étaient conduites en agriculture biologique. En 10 ans, de 2009 à 2020, le nombre de fermes certifiées AB a triplé passant de 325 à plus de 1000. «On parle beaucoup d’aide au maintien. Nous ce qu’on demande ce n’est pas une béquille. Nous voulons être payés justement pour le travail que nous faisons, pour le respect de l’environnement et des normes mises en place», défend Christian Albespy, agriculteur bio depuis plus de 25 ans, sa casquette Jeunes agriculteurs vissée sur la tête.

Multiples interprétations

Depuis plus de deux ans, la filière, notamment laitière bio, se heurte à une stagnation des conversions. «On a un marché qui a progressé et qui maintenant arrive à maturité. Cette maturité peut, c’est le cas en 2021, devenir atone. C’est à dire que la demande stagne, ou augmente très lentement, et le prix payé au producteur n’évolue plus. Et ce alors que les charges, elles, continuent d’augmenter», décrypte Nicolas Bosc. La concurrence est également un facteur à prendre en compte même au sein de l’Union européenne. «En France on importe des produits bio. Mais il faut le prendre au cas par cas. Si ce sont des fruits exotiques, des légumes qui ne peuvent pas pousser en France ou être produits en quantité suffisante, on peut comprendre qu’il y ait une offre extérieure. Mais pour le reste, nous sommes capables de répondre à une grande partie du besoin. Tout ce qu’il faut, c’est qu’un prix convenable soit garanti pour que nous puissions en vivre et que la dynamique de conversion continue», développe Nicolas Bosc.
Une situation similaire au concept d’industrie naissante développé par l’économiste John Stuart Mill. Le Britannique considère qu’une filière naissante ou manquant de compétitivité face à ses concurrents étrangers a besoin de protections pour atteindre son plein potentiel. Un rôle que pourrait jouer l’Union européenne en clarifiant et en uniformisant les règles du jeu. «Le bio c’est un cahier des charges européen qui est traduit en plusieurs langues et interprété en autant de langues. De ce fait, il y a des marges d’interprétations, de compréhensions, qui produisent des différences entre pays qui peuvent être... énormes», hésite Laurent Saint-Affre. «Catastrophiques», souffle Christian Albespy. «Oui, énormes ou catastrophiques», reprend le président de la FDSEA avant de conclure. «Je suis content qu’on ne soit pas capable de produire des courgettes bio en hiver. Cela me va bien. Très bien même».

Jérémy Duprat